C’est la catégorie d’enseignants la plus importante au secondaire. C’est elle qui paie le prix fort des réformes du secteur. Cette rentrée pour eux risque d’être chaotique.
Lundi 28 septembre 2020, la reprise des classes au Bénin. Une reprise qui risque d’être tendue. Les vacataires aussi appelés pré-insérés du secondaire, (78,37 % des enseignants) sont en colère. Les autorités ont choisi la veille de la rentrée pour annoncer des changements. Il s’agit des quotas horaires.
De 20 heures, cette catégorie d’enseignants va assurer désormais 30 heures la semaine. Il est également demandé aux dits pré-insérés de devenir bivalents. Ils doivent, en clair, pouvoir enseigner au moins deux matières ou disciplines. Un enseignant de français, par exemple, doit pouvoir enseigner l’allemand, l’anglais ou les mathématiques.
Changements sans changement de salaire
Ce changement n’intègre nullement une augmentation salariale. Au cours de l’année académique 2019-2020, les pré-insérés ont été payés à 95 000 FCFA le mois pour ceux qui ont la licence, 105 000 FCFA pour ceux de la maîtrise ou le BAPES et 125 000 FCFA pour le CAPES. Ces salaires restent en l’état. Chez les concernés, c’est la consternation, des interrogations et même des menaces de désertion.
Marcellin Hounwanou était ce dimanche sur Capp Fm. C’est lui le Directeur adjoint de cabinet du ministre de l’enseignement secondaire. Il explique que la décision vise à régler les problèmes de classes sans enseignants. Une situation qui a fortement entaché l’année scolaire écoulée. Il a par ailleurs indiqué qu’il s’agissait d’un sacrifice qui est demandé aux aspirants à l’enseignement. « Nouvelle trouvaille de la super intelligence des inventeurs des bureaux cossus de l’enseignement secondaire », réplique Anselme Amoussou, SG CSA-Bénin sur sa page Facebook après avoir suivi le Dac « justifier laborieusement cette énième incongruité de nos autorités ». Une autre décision bancale, anti pédagogique et qui contient des germes de martyrisassions des ressources humaines, rappelle t-il quand il dit : « on leur refuse de leur accorder une quelconque sécurité de l’emploi. On leur dénie l’accès aux primes de rentrée et aux travaux de correction des examens de fin d’année. Mais on est prêt à leur faire porter toute la charge des conséquences de nos actes manqués ».
Les « oubliés de la République »
« C’est à l’État de régler le problème du manque d’enseignants » réplique Marc. (Par crainte de représailles il a requis l’anonymat, son nom a été changé). Le trentenaire est dans l’enseignement depuis 6 ans. Sa colère, il n’a pu la retenir. Il a pointé du doigt les tracasseries vécues depuis 2018 : « les évaluations à n’en point finir, la baisse considérable des revenus ». Il va finir sa complainte en lâchant : « nous sommes les oubliés de la République ». Quand on lui rappelle la nécessité de continuer le sacrifice, Marc soupire avant de reprendre : « sacrifice, dites-vous ? Que le ministre de l’enseignement secondaire publie sa fiche de paie. Nous sommes la risée de tout le monde y compris nos élèves. »
Avant les réformes de Mahougnon Kakpo au secondaire, l’heure coûtait 1 500 FCFA à l’État. Un enseignant pouvait s’offrir 30 heures dans plusieurs établissements, le plafond étant 9 heures dans un établissement. 30 heures fois 4 semaines, l’État payait donc pour un mois 180 000 FCFA à cet enseignant. Aujourd’hui, pour la même masse horaire, l’État paie 95 000 CFA à celui qui possède une licence.
La reconversion est la solution
A Zogbadjè, un quartier populaire des étudiants dans la Commune d’Abomey-Calavi, nous avons rendez-vous avec Mahazou, (précaution, lui aussi son nom a été changé). Il nous reçoit dans son salon. Une chambre aux meubles plutôt imposants. La télévision, un écran plasma 52 pouces, surplombe le côté opposé à la porte d’entrée. Entre le bruit de ses 3 enfants, on entend de loin les casseroles témoigner d’une intense activité menée dans la cuisine par son épouse. L’air perdu, c’est lui qui introduit : « tout ceci, c’était avant la rupture ». « Depuis un bon moment, impossible de faire quoi que ce soit ». En nous raccompagnant, Mahazou indexe une pièce qui fait face à la voie, une probable boutique. « C’est là que se prépare ma reconversion, en plus des heures que je compte maintenir dans les collèges privés ».
Chez les communicants du régime en place, sur les réseaux sociaux et dans les médias proches du pouvoir, le score et le mérite des réformes sont sans appel dans l’enseignement. Pourtant les 78,37% d’enseignants dits aspirants du secondaire ont beaucoup à dire. Ils parlent d’une gestion explosive où ils sont les plus grands perdants. Certains racontent qu’à l’issue des nombreux tests de contrôle de capacité, les candidats ayant le certificat d’aptitude professionnel à l’enseignement du secondaire (CAPES) ont été très nombreux à échouer. La plupart avaient pourtant, selon plusieurs interviewés, de « nombreuses années » de pratique. « Tout s’est passé comme si l’État ne voulait pas beaucoup dépenser et donc, a plus recruté les aspirants de niveau licence. », conclut Marc. Difficile de savoir comment ces pré-insérés vont manifester leur colère durant l’année scolaire. La grève est encadrée, a encore rappelé Patrice Talon au magazine Jeune Afrique.