Des mots et des images dont les transes peuvent vous mettre dans la danse du cœur ou du corps. Des mots qui jouent avec le sens et déjouent les clichés sociétaux, culturels, identitaires, référentiels pour vous pousser vers l’érection de votre esprit ou de votre bas-caleçon. C’est selon ! Oui, avec Djamile Mama Gao, c’est selon votre maturité. Parce qu’il œuvre dans la démystification des choses/sujets/causes comme nécessaire à une construction sociale plus humaine, plus en rapport avec le soi. C’est d’ailleurs pour cela qu’il cherche à être aussi transversal qu’il est une sorte de « transgenre » artistique qui transforme son mal-être et sa souffrance face aux réalités troublantes pour se déployer par un (trop ?) plein d’énergie ou de capacité productive.
Quand il a plu au destin de l’extirper des arcanes trop pincées du Prytanée Militaire de Bembèrèkè, ce descendant des peuples pluriels de l’oralité, s’est laissé séduire à tous les niveaux par l’expression du dire. D’abord il va chercher sa voix à travers le journalisme. Et il va étendre son attachement pour le culturel en se risquant vers tous les médiums du métier. Presse écrite, radio, télé, média digital. Comme si jamais rien ne lui suffisait. Comme si jamais rien ne le contentait. D’ailleurs, il va ensuite laisser son oreille s’adoucir à l’écoute du Slam et va s’ancrer dans la parole de diseurs aux multiples personnalités. De Sergent Markus au 10 BP 229, en passant par Souleymane Diamanka, Abd Al Malik, Apkass, Gaël Faye, Smarty, Jay Killah, Moonaya, Diam’s et d’autres encore.
Le verbe s’est donc apposé sur les contours de ses cordes vibrantes, allant se nicher dans sa chair, pour couver ses envies de se dire à lui-même et à l’humanité. Alors qu’il faut rappeler qu’il avait déjà une démarche poétique écrite, estampillée par un recueil de cinquante-huit poèmes torrides. Comme quoi : le temps de se mettre au goût de l’avenir, et de se remettre de l’éducation stricte de l’armée, il a tout plaqué au profit de la poésie. Une belle arrosée osée de poésies aux rosées adultes. Une poésie ondulante qui va s’agripper à la taille nouée des « nan », pour transcrire leur déhanchement, leur sensualité touchante, leur beauté virile, leur volupté enveloppante.
C’est dire que Djamile Mama Gao est un quêteur de désirs qui ne se privent d’aucune audace lyrique ou rythmique, pour magnifier le corps, l’être, la nudité, le nu. Et justement, il semble que c’est partant de cette exploration poétique de l’intimité, que lui viennent aussi bien sa volonté entrepreneuriale de créer un festival exclusivement dédié au nu africain ; que son envie d’être sex-bloggeur pour participer à l’éducation sexuelle des générations actuelles ou à venir. Et enfin, à tout ça, n’oubliez pas d’ajouter la facette de modèle photo.
De toutes ces randonnées, on retient donc que Djamile ne se fige pas. Il veut être en mouvement perpétuel. Aller là où son esprit le mène. Aller aussi loin qu’il en sent l’impulsion. Est-ce par insatisfaction récurrente ou par insatiabilité récursive ? Ce qui est certain, c’est que le temps d’une plongée dans sa muse, ce filou artistique fouille, file et se faufile entre les genres, épousent leurs contours, dénouent les nœuds qu’il découvre en fonction de ses ressources, de ses moyens, de ses projections, et d’une passion intarissable.
Ainsi, malgré les manques, malgré les doutes, les révoltes, les impatiences ; il s’émeut de recherches (musicales) en recherches (photographiques) explorant les tréfonds d’une créativité (en écriture et autres) toujours en gestation et toujours en mutation. Saura-t-il se trouver suffisamment pour impacter à la hauteur de son originalité, de ses savoirs pluriels, de ses créations salivantes et de l’intensité de son incandescence folle ?
Une folie créative et transversale
Lorsqu’on n’est jamais comblé, on continue de franchir des limites. Quitte à paraître hors du temps, hors des normes, hors des habitudes, hors des attentes prédéfinies. Tel est Djamile Mama Gao en art. Et c’est ce qui le définit sans doute le mieux : la recherche du surprenant, la matérialisation de l’inattendu, la prospection du singulier, l’approfondissement de l’insolite. De sa besace créative s’écoule une serve fertile en idées, en démarches artistiques, en déconstruction des codes. Rien ne doit être comme d’habitude. Tout peut et doit être bousculé si nécessaire. Ce qui l’amène à initier, réaliser, ou prendre part à des séries photos dans lesquelles il examine l’androgynie, en transcrivant sa perception de la dualité de Dieu. Plus encore, cela l’incite à construire un univers slam changeant, résolument musical, alliant l’africanité aux influences du monde, mélangeant la griotique aux tendances actuelles. Il le baptise même « afroslam ». C’est-à-dire un slam d’Afrique dont l’identité perçue ne correspond pas au slam qu’on nous a biologiquement assigné à la naissance de ce mouvement.
Et tout le long de son premier album de douze titres, on l’entend. On l’entend à travers la mixture des sonorités, la rencontre des instruments, l’alternance technique des ingénieurs de sons qu’il a sollicités, la multiplicité de la manière de dire ses textes, la diversité thématique, etc. Tout est contrasté. Tout est fait pour qu’il repousse ses limites à chaque fois. On l’entend depuis le titre de cet opus baptisé « Na yi noukon », dont le titre éponyme en fon incarne un refrain en Mokolé avec des couplets en français, en baatonu et en dendi. Autre façon pour Djamile de bousculer les attentes. Autre façon aussi de faire comprendre qu’il ne cherche à appartenir à aucune fixité, et qu’il est ouvert à toutes les différences, à toutes les diversités, à toutes les parts d’humanité. C’est sans doute pour cela qu’il n’hésite pas à s’engager en faveur des personnes vivant avec l’albinisme (« Je suis Albinos »), en même temps qu’il prend position pour le Congo (« Congolaid »), et qu’en dépit des préjugés il peint la portée positive du Vodun (« Vaudou Gnon »). C’est donc cela la folie créative de Djamile Mama Gao : un goût de la transgression, un élan vers l’insoupçonné, et un sens du vivre-ensemble toutefois nuancé.
La famille comme socle de stabilité
La quête de soi, l’insoumission, et le questionnement perpétuel, font partie intégrante du sens même de l’existence chez Djamile Mama Gao. Tout commence par le nom. Qu’il change et torture dans la première phase de son parcours artistique : allant de Nègre Djamile à Djamile Mama Gao. Viennent ensuite les rôles et le choix des métiers : du journalisme à l’artiste ou au bloggeur. Puis s’enchaînent les statuts : du civil au militaire, du militaire au civil. Tout est remis en cause et tout est sujet à remise en cause. Cette versatilité professionnelle et sociale trouve un début de sens quand le jeune tente de trouver ses traces parentales. Béninois, Sahélien, Togolais, il n’est aucunement possible de se reposer sur une seule appartenance. Alors il finira par se conclure Africain. Avec fierté mais laissant percevoir des onces de tourmentes intérieures sur le besoin d’équilibre qu’il désire. Tel est donc socialement Djamile Mama Gao. Un humain qui essaie de trouver sa place à travers sa pluralité existentielle.
C’est alors qu’on aperçoit une lueur dès qu’on le surprend en famille. Le garçon en conflit avec ses origines écartelées dessinées il y a plusieurs décennies à Berlin par ceux que vous imaginez ; retrouve une sérénité inattendue. Regard heureux, sourire naïf, esprit en renaissance, il semble devenir plus décontracté. Le seul coin tranquille dans cette vie en transe, serait donc le petit foyer privé. Où sa compagne et leur(s) enfant (s) sont ses calmants. C’est donc là qu’il s’oublie et redevient lui-même un enfant regagnant un pan d’innocence et d’insouciance. Le creux familial, c’est donc le seul endroit où le jeune effervescent Mama Gao retrouve un seuil de tranquillité. Témoignant pleinement par l’acte, de son féminisme assumé. Autant par sa vision libérale du ménage que par son implication par les devoirs liés à la paternité ; parfois même la progéniture en bandoulière ou au dos. Incarnant ainsi, ses lignées millénaires de sage-homme (et d’homme sage ?).