Depuis une dizaine de jours, les Nigérians manifestent contre les violences policières. Ils veulent maintenant une meilleure gouvernance de leur pays. A l’ouest, au Bénin, on observe ces événements dans le silence habituel, à six mois du scrutin présidentiel.
Les Béninois se mobilisent peu, très peu. C’est connu de tous. Ils descendent très rarement dans les rues pour revendiquer leurs droits ou mettre fin à une injustice. On les verra rarement organiser une marche pour demander un meilleur accès à l’eau, une fourniture de l’électricité sans délestage. Très peu de pétitions circulent aussi si les réseaux GSM par exemple grugent les consommateurs. Combien de fois les associations de consommateurs se sont senties seules pour défendre les droits de la population à une meilleure communication, à une alimentation saine… !
Les Béninois manifestent en effet pour les causes politiques. Il n’est pas rare surtout de les voir aux côtés d’un acteur politique si ce dernier a maille à partir avec le pouvoir en place. Cela se traduit généralement par des soutiens sur les réseaux sociaux ou une présence ponctuelle aux côtés d’un « acteur politique opprimé » au tribunal, à la police…Il ne s’agit nullement ici d’organiser une insurrection contre un quelconque pouvoir au Bénin, mais de revendiquer ses droits. Car, comme le dit l’écrivain français François Mauriac, « On ne peut rien attendre d’une jeunesse que l’injustice ne révolte pas ».
Insécurité aux frontières béninoises
Un demi-siècle après la mort de l’écrivain français, la jeunesse nigériane a pris son destin en main. Depuis début octobre, de nombreux Nigérians manifestent contre les violences commises par la police. La jeunesse, y compris son élite et ses stars, a fini par obtenir la dissolution de la brigade spéciale de répression des vols (SARS). Mais les manifestations n’ont pas pour autant connu une régression.
Lundi, les jeunes ont bloqué l’aéroport international de Lagos et les principaux axes routiers. L’attaque des forces armées contre les manifestants a fait plusieurs morts et au moins 25 blessés mardi. Plus de mille manifestants rassemblés pacifiquement sur un péage à Lagos ont été dispersés par la police mardi soir par des tirs à balles réelles après l’entrée en vigueur d’un couvre-feu. Mercredi (21.10.20), le président Muhammadu Buhari a appelé à la compréhension et au calme.
Outre la mégalopole de Lagos, 20 millions d’habitants, plusieurs autres villes dont la capitale fédérale Abuja sont gagnées par la contestation. Depuis le début des manifestations, au moins 18 personnes ont été tuées dont deux policiers. Lundi, le ministre nigérian de la jeunesse, Sunday Dare, avait appelé la population au dialogue. Il redoute que les manifestations des jeunes n’empêchent d’autres de vaquer à leurs occupations, créant ainsi l’insécurité.
Officiellement, le Bénin n’a pas commenté ce qui passe chez son voisin nigérian. A plus de 120 kilomètres de Lagos, le palais présidentiel à Cotonou n’est sûrement pas indifférent à ce qui se déroule chez le grand voisin de l’Est, avec ses 200 millions d’habitants. Même si les frontières terrestres sont officiellement fermées depuis août 2019, Porto-Novo doit s’attendre à un afflux de Nigérians si la situation dégénère. Le Bénin partage plus de 700 kilomètres de frontières communes avec le Nigéria. La jeunesse nigériane voit dans le Bénin un pays relativement calme. Et si elle ne trouve pas d’emploi ou ne trouve pas de quoi survivre au Bénin, ce que le ministre nigérian de la jeunesse redoute pourrait bien se passer au Bénin.
Meilleure gouvernance du pays
D’autant que de plus en plus, les manifestants à Lagos et ailleurs dans le pays brandissent d’autres revendications. Sur les réseaux sociaux, les appels à la démission du président Muhamadu Buhari portés notamment par l’artiste Davido se font entendre. Le mouvement contre les violences policières devient une lutte pour une meilleure gouvernance. La première économie du continent, dépendante du pétrole, a du mal à faire face aux besoins de sa population. La secte islamiste Boko Haram continue de frapper le nord du pays. Muhamadu Buhari qui est à son deuxième mandat, est dans le viseur des critiques.
Si au Bénin, le président Patrice Talon n’a jamais eu à faire face à une telle fronde, il devrait tout de même en tenir compte. Il est assuré de faire un second mandat s’il se présente dans l’état actuel des textes. Si des institutions internationales saluent son bilan, d’autres organismes pointent du doigt une dégradation des droits humains dans le pays. Les récentes prises de positions du régime sur les arriérés des fonctionnaires montrent un régime qui veut démontrer qu’il agit pour le bien commun et qu’il matérialise la prospérité partagée.
Au Nigeria comme au Bénin, les populations deviennent de plus en plus exigeantes. Le président Muhammadu Buhari le réalise en ce moment, peut-être le tour bientôt de Patrice Talon, si ce n’est déjà fait.