Un mois après la détention de Reckya Madougou, un juge estime avoir reçu des pressions dans ce dossier. Une déclaration à moins d’une semaine du scrutin présidentiel.
Son audio a été « transféré de nombreuses fois ». C’est ce que marque un audio sur WhatsApp lorsque ses utilisateurs ont fait circuler un audio dans plusieurs groupes. Nul doute que l’opposition a contribué à ce résultat. Depuis dimanche, les œufs de Pâques menaçaient de rompre avant ce lundi de Pâques, tant l’opposition attendait impatiemment cette sortie sur les réseaux sociaux. Du côté des partisans du pouvoir, c’était le silence total, dans l’espoir de voir ce que dirait le juge démissionnaire.
Qu’a dit le juge de la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (CRIET) ? Selon le juge Essowé Batamoussi sur RFI lundi 5 avril, la CRIET ne serait pas indépendante. «Toutes les décisions que nous avons été amené à prendre l’ont été sous pression », dit-il. Le juge désormais en exil s’appuie sur la détention provisoire depuis un mois de l’opposante Reckya Madougou pour dénoncer une justice aux ordres. « Le dossier ne comportait aucun élément qui pouvait nous décider à la mettre en détention », explique Essowé Batamoussi, juge des libertés et de la détention à la CRIET.
Tout ça pour ça
A RFI, le gouvernement n’a pas du tout voulu réagir dans l’immédiat. Preuve que le gouvernement veut montrer à la face du monde que cette démission est un non-évènement. C’est d’ailleurs ce que s’est évertué à dire le ministre de la Justice Sévérin Quenum interrogé par RFI. L’avocat réplique que « les juges sont indépendants et ne sont soumis qu’à l’autorité de la loi ». Une façon de battre en brèche la déclaration du juge démissionnaire. Mais sur les réseaux sociaux, les partisans du pouvoir avaient déjà jeté l’anathème sur le juge Essowé Batamoussi. Et le dossier va être jeté aux oubliettes, d’autant que le scrutin présidentiel et, après, la prestation de serment sont à nos portes. L’opinion semble occupée par ces échéances.
Pour le reste, la sortie médiatique du juge Batamoussi a eu pour l’instant moins d’effet que l’annonce même de ladite sortie. Si cette démission porte encore un coup à la réputation de la CRIET, il n’en demeure pas moins que ce n’est pas une première. Il y a trois ans, le juge Simplice Dato quittait ses fonctions à la Cour constitutionnelle, à quelques mois de la fin de la mandature. En 2013, le juge Angelo Houssou, qui avait ordonné un non-lieu dans l’affaire de tentative d’empoisonnement de l’ancien président Boni Yayi, demande l’exil aux Etats-Unis. Si ce n’est pas la première fois qu’un juge démissionne, ce n’est pas la première fois non plus que des hommes de la maison justice dénoncent la pression du pouvoir exécutif, quelque soit le régime en place. L’ex-juge de la CRIET indique vouloir attirer l’attention du peuple sur la pression supposée que subissent ses collègues de la CRIET. Il entend informer le peuple sur la pression que subit la justice, un secret de Polichinelle.
Pourquoi parler maintenant ?
Le juge Essowé Batamoussi minimise le timing de sa déclaration. Elle ne serait pas liée au scrutin présidentiel prévu dans moins d’une semaine. Il n’est pas politicien, insiste-t-il. Mais sa déclaration a de quoi donner du grain à moudre à l’opposition qui tient là une autre corde pour fouetter (critiquer) le pouvoir de Patrice Talon. Les partisans du pouvoir remettent déjà en question l’intégrité du juge Batamoussi, en estimant qu’il est de l’opposition. « Dans le contexte actuel où il fait cette déclaration-là, c’est une déclaration orientée. Il s’agit là d’une manipulation politique », a conclu le ministre Sévérin Quenum. La manipulation n’est pas du seul ressort d’un pouvoir en place dans tous les pays, on fait vite de l’oublier parfois.
Quelle influence peut avoir cette sortie médiatique du juge sur le scrutin présidentiel du 11 avril ? Aucune influence directe, d’autant que l’indépendance de la justice n’est pas directement liée dans le cas d’espèce à l’élection présidentielle. La commission électorale et la Cour constitutionnelle ont validé les candidatures et rejeté d’autres se fondant sur les lois électorales. Du coup, on peut penser que le pouvoir de Patrice Talon, président sortant va continuer à battre campagne comme si rien ne s’était passé. Du côté de l’opposition radicale, c’est peut-être un argument de plus pour demander le départ de Patrice Talon, elle qui estime que ce dernier doit rendre le tablier le 06 avril, date prévue pour la prestation de serment d’un président de la République, avant que n’intervienne la révision de la Constitution en 2019.
Reckya Madougou : c’est quoi la suite ?
Si le juge Essowé Batamoussi dénonce une pression de la chancellerie dans la détention provisoire de Reckya Madougou, il n’en demeure pas moins qu’on n’avance pas dans le dossier. On a juste une déclaration de plus qui montrerait que le dossier est vide. Ses avocats et les proches de Madougou avaient déjà fait de pareilles dénonciations. La déclaration du juge Essowé Batamoussi peut juste être une déclaration de plus. Elle a quand même du poids, venant de quelqu’un qui connaît la maison.
Peut-elle conduire à la libération de l’opposante accusée de financer le terrorisme ? Pas si sûr dans l’immédiat. Pour l’heure, on ignore encore la date de la tenue du procès et il n’est pas sûr qu’il se tienne avant le scrutin présidentiel. Cette déclaration du juge Essowé Batamoussi, ajoutée au sit-in organisé non loin de la prison d’Akpro-Missérété où est détenue Reckya Madougou, peut certes augmenter la pression sur la justice. Mais la CRIET ne semble pas ébranlée outre mesure depuis l’éclatement de cette affaire. Le procureur spécial de la CRIET ne s’est exprimé qu’une seule fois. Un peu comme pour démontrer que Reckya Madougou est une justiciable comme tout autre.