C’est l’une des institutions fortement impliquées dans l’alternance démocratique dans les pays. Curieux constat, les Cours constitutionnelles en Afrique s’écartent de leur mission originelle. Elles sont à la solde des dirigeants politiques qui ont la boulimie du pouvoir. Avec elles, le respect de l’ordre constitutionnel est remis en cause et jeté aux oubliettes. Et dire que les membres prêtent serment sur les notions de sagesse, de justice, d’équité et d’impartialité. A l’arrivée, c’est un retournement de veste. On fait allégeance à un homme, imbu de son pouvoir, plutôt qu’aux textes qui organisent le jeu démocratique. On troque son esprit contre les valeurs pécuniaires, comme si celles-ci peuvent payer tout son cursus scolaire. Dans tous les pays qui font l’expérience démocratique depuis les années 90, le malaise est grand et profond. C’est un constat établi que tous les conflits politiques actuels découlent de l’absence d’une légitimité démocratique à laquelle s’opposent les Cours constitutionnelles. Elles qui n’hésitent pas à donner leur caution morale aux dirigeants politiques qui portent le vilain projet de passer outre les barrages constitutionnels dans le but de s’éterniser au pouvoir. Intéressons-nous au cas les plus récents.
Le regretté et tristement président Pierre Nkurunziza, déjà au pouvoir depuis 10 ans, avait défié la limite des deux mandats prévue par la constitution pour briguer un troisième mandat. Un autre changement important prévoit que le président de la Cour constitutionnelle sera choisi directement par le président et non plus élu par ses membres. Cette mesure renforcerait le contrôle de l’exécutif sur la Cour, érodant davantage son impartialité. Dans ce climat tendu, le référendum controversé de 2018 a prolongé les mandats présidentiels de 5 à 7 ans et a ouvert la porte à la candidature de Nkurunziza pour un quatrième mandat en 2020 et un cinquième mandat en 2027. Mais la nature en a décidé autrement. Son retrait plus tôt au profit d’Evariste Ndayishimiye avait déjà surpris l’opinion publique internationale.
L’année 2019 a été marquée par un total de vingt-quatre élections nationales en Afrique. Cela reflète une norme établie qui veut que les élections soient désormais la méthode reconnue pour la sélection des dirigeants africains. Signe peut-être de la vitalité démocratique sur le continent noir. Mais à y voir de près, c’est le linceul blanc qui entoure le cadavre. La qualité de ces élections continue à varier largement, certaines étant de simples rituels de routine permettant aux dirigeants de se maintenir au pouvoir. Une démocratie à géométrie variable où le jeu de l’exclusion se fait sous la bénédiction des gardiens de la loi.
La différence de calibre des élections africaines s’inscrit dans un processus à plus long terme entamé dans les années 90 pour bâtir des institutions démocratiques et consolider des systèmes politiques véritablement démocratiques. Cette lutte pour établir des normes de gouvernance a des implications directes en Afrique dans le domaine de la sécurité, où pratiquement tous les conflits sont internes. Plus de la moitié des conflits africains actuels sont la conséquence directe d’un contentieux sur la légitimité, notamment des dirigeants qui restent au pouvoir après la limite de deux mandats prévue par la loi.
A l’exception du Nigéria, de l’Afrique du Sud et la Tunisie, la tenue et les résultats des élections de 2019, concentrées en Afrique australe et occidentale, détermineront la trajectoire démocratique de l’Afrique. Le président Assoumani avait suspendu la Cour constitutionnelle avant le référendum, une décision que les partis d’opposition ont déclaré illégale. Saisie par le président Touadéra mi-mai, la Cour constitutionnelle a considéré qu’elle ne pouvait donner son aval à la révision de la Constitution proposée par l’Assemblée nationale et portée par les partisans du chef de l’État. La question clé de l’élection présidentielle de 2020 en Guinée est l’effort du président Alpha Condé, âgé de 81 ans, pour obtenir un troisième mandat présidentiel interdit par la constitution actuelle. Après deux années de manifestations populaires soutenues exigeant que Faure Gnassingbé se retire à la fin de son mandat, une limite de deux mandats présidentiels a été rétablie dans la Constitution en 2019. En 2002, Gnassingbé Eyadéma avait pu supprimer la limitation des mandats de la Constitution d’alors. Au Mali, la bataille constitutionnelle envenime le conflit politique avec son lot d’insécurité et de violence. Du coup, l’alternance démocratique à la tête des États africains est rendue caduque voire impossible en raison de la moralité douteuse des juges installés à la tête des Cours constitutionnelles.