Le sujet défraie la chronique, fait la une de l’actualité ainsi que des mécontents et, surtout, permet de convoquer la conscience qu’il s’agit d’un problème sociétal. Le harcèlement est une gangrène pour la société béninoise. Au quotidien, dans notre société et ailleurs dans le monde, des millions de femmes et d’hommes subissent différentes formes de harcèlement. Qu’il soit verbal, moral, sexuel, psychologique ou autres, le harcèlement ne devrait pas avoir droit de cité dans notre pays. Les déferlements actuels sur la toile en lien avec les dénonciations de cas de harcèlement sexuel démontrent sans ambages que le fléau est bien présent et bien enraciné dans notre société. Il induit un cercle vicieux dans lequel la voix des victimes est étouffée malgré l’existence de lois en la matière. On est donc en droit de se demander si les véritables problèmes de fonds sont réglés. On est en droit de s’interroger sur la congruence de la loi avec le vécu des victimes, sur les dispositions éducations prévues pour éradiquer ce mal dans notre pays. Des inquiétudes se posent donc. Que faire ? Et comment procéder ? Face à cette situation où des interrogations demeurent en suspens sur la question alors que plusieurs hommes et femmes sont victimes quotidiennement de différentes sortes de harcèlement, un groupe de personnes s’est donné pour mission de combattre le mal chez nous par des actions concrètes et durables. Nous sommes allés à leur rencontre. L’un des co-fondateurs du Collectif Causes Citoyennes (CCC) qui a lancé le plaidoyer « AÏFA » il y a quelques jours, nous donne ici son point de vue par rapport à la situation. Voici le fruit de notre entretien avec ce concitoyen.
EKETIINFO: Bonjour à vous. Veuillez SVP vous présenter pour nos lecteurs.
CCC : Bonjour monsieur le journaliste. Je m’appelle Sylvestre Levis Coffi HOUNGBÉDJI. Je suis Maître en travail social et travailleur social en pratique autonome au Québec. Mes champs d’expertise sont, de manière globale, les violences à caractère sexuel, la résilience, la condition masculine et l’intervention féministe.
EKETIINFO: Qu’est-ce que le collectif Causes citoyennes ?
CCC : Le Collectif Causes Citoyennes est un regroupement de personnes engagées pour diverses causes devant contribuer au mieux-être des communautés au Bénin. Il est cofondé par trois béninois dont deux travailleurs sociaux et une comptable professionnelle agréée. Toutefois, nous comptons dans nos rangs à ce jour des juristes, des architectes, des médecins et des professionnels du secteur agricole. Toutes ces personnes sont engagées pour la cause et d’autres se sont annoncées pour nous rejoindre dans les jours à venir. Nos membres sont présents au Bénin et au Québec (Canada) pour le moment. D’ailleurs, deux des membres fondateurs sont au Québec.
EKETIINFO: Quels sont les objectifs du collectif ?
CCC : Notre Collectif souhaite se pencher de manière professionnelle sur des questions touchant à notre société et de façon profonde, de sorte à garantir la pérennité de nos actions. Et naturellement, notre premier combat concerne le harcèlement sous toutes ses formes au Bénin. Nous souhaitons briser les barrières qui entravent le processus de dénonciation de tous les types de harcèlement au Bénin. Selon nous, il est important de faire un travail de fond pour se pencher de manière efficace sur la question du harcèlement en soi et non simplement celle du harcèlement sexuel.
EKETIINFO: Qu’est-ce que le plaidoyer AÏFA et quels en sont les objectifs ?
CCC : Comme son nom l’indique, AÏFA signifie « la paix du cœur » en langue fon. Pour nous, il est crucial que la paix du cœur soit du côté des victimes et potentielles victimes. En d’autres mots, les victimes et potentielles victimes de harcèlement au Bénin doivent se sentir à l’aise et confiant quand elles souhaitent engager un processus de dénonciation devant les instances compétentes au Bénin. Notre action est un plaidoyer en ce sens qu’il s’agit d’un ensemble d’activités qui sera mené à l’attention des législateurs et du gouvernement béninois de sorte à garantir la prise de mesures adaptées au fléau que constitue le harcèlement dans notre pays. Notre plaidoyer poursuit trois objectifs que sont : mettre fin aux différentes formes de harcèlements au Bénin, mieux protéger les victimes et, punir les coupables.
EKETIINFO: Qui sont les personnes visées par le plaidoyer AÏFA ?
CCC : En premier lieu, AÏFA vise à la fois les hommes et les femmes victimes ou potentielles victimes de harcèlement au Bénin. Nous souhaitons recueillir des témoignages anonymes d’anciennes ou d’actuelles victimes de harcèlement au Bénin. Ces témoignages seront intégrés et analysés dans un document stratégique qui servira de base, en second lieu, aux autres actions du plaidoyer à l’endroit des autorités politico-administratives à divers niveaux.
EKETIINFO: Pourquoi des témoignages anonymes ?
CCC : Il est important pour nous que les témoignages soient anonymes pour plusieurs raisons. Tout d’abord parce que notre but n’est pas de porter directement une aide juridique aux victimes. Bien évidemment, si nous avons des demandes dans ce sens, nous saurons orienter les gens vers des personnes compétentes. Mais, à la base, cela n’est pas notre objectif. D’autres personnes ou organisations jouent amplement ce rôle et nous en sommes fiers. Ensuite, il faut comprendre que nos actions vont plus dans le sens du renforcement de l’arsenal juridique de sorte à ce qu’il protège de manière pratique et efficiente les victimes. En résumé, les témoignages anonymes permettent aux gens de raconter leurs vécus en toute confidentialité pour nous permettre d’offrir aux autorités une analyse, un diagnostic et des solutions optimales et en phase avec le vécu des victimes. Nous sommes convaincus que si nous voulons aider les victimes avec un arsenal juridique solide, il faut que cela prenne en considération leur vécu. Sans cela, il est certain, comme on le remarque aujourd’hui, que la loi ne saurait atteindre son ultime objectif : celui de protéger les victimes et de punir les coupables avec la dernière rigueur.
EKETIINFO: Comment garantissez-vous l’anonymat des témoignages ?
CCC : C’est simple ! Nous avons un formulaire généré sous Google Forms. Les intéressés, en cliquant sur le lien du formulaire, pourront immédiatement déposer leur témoignage sans avoir à donner la moindre information susceptible de permettre de les retracer. Cependant, les personnes qui vont nous faire parvenir des témoignages par mail ou par le numéro du Collectif peuvent être rassurés que seuls les co-fondateurs auront accès à leurs informations et nous leur faisons le serment de ne divulguer sous aucune raison leur identité. Nous sommes des professionnels tenus au secret professionnel de par nos métiers. Nous comptons appliquer cette même règle éthique dans le traitement des témoignages reçus.
EKETIINFO: Est-ce que les victimes qui témoignent vont être contactées dans le but d’une quelconque action judiciaire ?
CCC : Non ! Comme nous l’avons mentionné plutôt, nous n’avons pas accès aux contacts des victimes sauf pour les personnes qui nous contacterons par téléphone ou par mail. Par contre, s’il y a des personnes qui nous contactent pour mener des actions judiciaires, nous saurons les orienter vers les ressources adaptées.
EKETIINFO: De façon concrète, comment comptez-vous faire bouger les choses ?
CCC : Bonne question ! Tout d’abord, en restant professionnel dans ce que nous faisons. Nous avons décidé d’aborder toutes les situations de harcèlement possibles au Bénin car le législateur n’a pas tout prévu. Nous sommes convaincus que nous allons contribuer à faire bouger les choses car notre travail tient sur des bases scientifiques, cliniques, sur des vécus réels et nos analyses et propositions en découlent. Nous nous concentrons également sur les deux piliers essentiels dans la lutte contre le harcèlement au Bénin : l’éducation et l’arsenal juridique. En réussissant à apporter des solutions durables sur ces deux fronts, nous sommes convaincus que les différentes formes de harcèlement vont prendre du recul, voire disparaître dans notre société.
EKETIINFO: Le PR s’est saisi du cas de l’Ortb. En quoi votre action est t-elle encore nécessaire ?
CCC : Nous sommes heureux à l’instar de bon nombre de béninois de la prise de position formelle du Chef de l’État. Nous pensons que cela mérite qu’on s’en réjouisse. Pourquoi ? Parce que, du peu que nous connaissons du Président Talon, il va au bout de ses actions. Il ne s’engage pas pour la forme mais pour de vrai. C’est cela qui est réjouissant. Pour nous, cela est un signe que la direction que prend notre plaidoyer portera la promesse des fruits puisque le Président Talon est attaché au travail bien fait et nous sommes convaincus que les autorités sauront apprécier la qualité du travail qui leur sera soumis d’ici le mois prochain. Pour finir, ce qui justifie au-delà de tout la pertinence de notre action, c’est qu’il y a parmi nous, co-fondateurs, des experts de la question et nous comptons sur leur expertise pour justement produire un travail éclairé afin de porter à la connaissance des autorités des propositions viables et directement applicables. Il nous fera plaisir de vous dévoiler ce travail dans les semaines à venir.
EKETIINFO: Comment garantissez-vous la pérennité de vos actions ?
CCC : La loi est faite pour être appliqué dans le temps. L’éducation est aussi une série d’actions à court, moyen et long terme. La pérennité de nos actions va donc de soi étant donné que nous nous appuyons sur ces deux balises : droit et éducation. Pour aller plus loin, au-delà du travail que nous allons produire, le plaidoyer prévoit une série d’actions de lobby auprès des organisations politiques, internationales et locales susceptibles de participer à la cause. En somme, étant aujourd’hui un collectif, il n’est pas exclu que nous envisagions de nous établir formellement comme organisation non gouvernemental engagée dans l’éradication durable des fléaux de société tels que le harcèlement. Cela nous donnera les bases qu’il faut pour garantir la pérennité sans faille de nos actions.
EKETIINFO: Merci d’avoir pris le temps de parler avec nous. Un mot de la fin pour nos lecteurs ?
CCC : C’est nous qui vous remercions. À toutes celles et à tous ceux qui nous lisent, nous souhaitons dire ceci : l’ère de l’éradication des fléaux qui minent notre société a sonné. Nous ne devrons plus fermer les yeux. Nous devons briser le silence et faire entendre nos voix car ce combat n’est pas d’abord pour nous mais pour la postérité. Nous voulons aussi leur dire qu’il est temps qu’on aille au-delà de l’indignation bruyante en nous mettant sérieusement au travail. Le harcèlement est un fléau qui a des origines complexes et qui touche hommes comme femmes. Il est impératif qu’on détruise le cercle vicieux et les pratiques ignobles que cela a instauré dans notre société afin que nous ayons tous la paix du cœur. Aux victimes, nous disons : aidez-nous car votre témoignage compte et peut permettre de mieux penser les lois pour vous protéger et protéger les générations futures ! À tous ceux qui veulent se joindre à nous, cela nous fera plaisir de discuter avec vous.
Ainsi se résument les actions menées par le Collectif Causes Citoyennes et leur plaidoyer AÏFA qui invite à participer au mouvement d’éradication ou de réduction de ce fléau qui détruit la société. Y parvenir, c’est dénoncer dans crainte toutes formes de harcèlement dont les hommes ou les femmes ont été ou sont victimes en ce moment. Et pour aider les potentielles victimes, un lien est mis à disposition pour faire part des témoignages : https://bit.ly/2WqZ1My