Alors que le procès des assassins présumés de Gracia Prunelle est prévu pour lundi (15.06.20), la justice béninoise offre encore l’occasion aux Béninois de ne pas passer l’éponge sur ce fait tragique.
Gracia Prunelle n’a peut-être pas la stature de Rayshard Brooks, de George Floyd ou encore d’Adama Traoré. Si elle vivait aux Etats-Unis ou en France, le sort aurait été certainement tout autre. Même si elle n’avait pas 46 ans, comme l’Afro-américain tué à Minneapolis lundi (25.05.20) suite à une brutalité policière, elle restait aussi un être humain qui avait droit à la vie. Gracia Prunelle voulait être épanouie, avoir aussi une voiture peut-être comme Rayshard Brooks. On ne le saura jamais. On ne saura jamais non plus si Gracia Prunelle a aussi prononcé pendant plus de huit minutes « I can’t breathe : je ne peux pas respirer » prononcé par George Floyd lors de son étouffement par un policer aux Etats-Unis.
Début février dernier, c’est dans un bas-fond du quartier de Sainte Rita à Cotonou que Gracia Prunelle est retrouvée. Les coupables présumés avaient besoin « d’organes humains (qui) devraient rentrer dans la composition d’un savon et d’une pommade magique. Il s’agit du cœur et de l’encéphale », a fait savoir le procureur de la République Mario Mètonou lors d’un point de presse mardi (11.02.20).
Notre George Floyd à nous
Gracia Prunelle était une très petite fille, qui aspirait certainement comme tout Béninois au bonheur. Ce bonheur, c’est peut-être chez son créateur qu’elle le vivra depuis son inhumation, à Dangbo, samedi (11.04.20) de manière sobre en pleine pandémie de la Covid-19, quasiment dans le silence total. Pourtant, l’affaire a indigné les Béninois sur les réseaux sociaux. Le peuple béninois, sociologiquement, s’émeut lorsqu’un être vit une situation difficile. Mais jusqu’où s’arrêtent l’émotion et l’indignation des Béninois ?
Le Béninois se limite-t-il à s’indigner sur les réseaux sociaux ou à travers les grognes sur les radios locales ? Combien de personnes ont encore en mémoire cet assassinat crapuleux de Gracia Prunelle ? Si certains s’en souviennent encore, comment le manifestent-ils ? Juste dans de simples discussions ? Il n’est nullement question d’appeler à la violence. Loin s’en faut ! Il est juste question de marcher pacifiquement dans les rues de Cotonou ou ailleurs. La rue est le lieu par excellence où un peuple s’offusque contre un fait. Aller lire une motion d’indignation au ministère en charge de la question des enfants, quoique symbolique, aurait attiré l’attention des gouvernants sur cet assassinat de la petite Gracia Prunelle.
« Une peine exemplaire »
Mais des Béninois ont voulu marcher dans les rues jeudi (11.06.20) contre « le racisme pandémique et l’assassinat de George Floyd, Américain Noir aux USA ». La manifestation a été finalement annulée, le préfet du département du Littoral, Jean-Claude Codjia craignant des troubles à l’ordre public. Il n’est point question ici de décourager une marche contre les brutalités policières et le racisme. Il est juste question de « valoriser aussi nos martyrs » car il y en a beaucoup dans le pays.
Lundi (08.06.20), un agent de santé a été enlevé dans la commune de Tchaourou. Dans les prochains jours va s’ouvrir un procès après qu’un orphelin a été maltraité et nourri avec de la matière fécale. Des affrontements entre agriculteurs et éleveurs peulhs ont été rapportés début juin par des médias sur place. Ces affrontements ne sont pas isolés et donnent lieu souvent seulement à des descentes d’autorités politico-administratives pour appeler à cultiver la cohésion. On n’oubliera pas la mort de Prudence Amoussou en mai 2019. Amnesty International Bénin demande depuis toujours une enquête. Les étudiants ruminent toujours le décès de leur camarade Théophile Djaho abattu (24.03.2020) par un policier lors d’un mouvement d’humeur sur le campus d’Abomey-Calavi.
Pour tous ces événements tragiques, aucune marche n’a été organisée. Les Béninois se sont juste émus et ils sont passés à autre chose avant la prochaine émotion. Pour Gracia Prunelle, la justice est appelée à ne pas se laisser guider par l’émotion mais appliquer le droit. Le procès s’ouvre lundi (15.06.20). Le procureur de la République près le tribunal de Cotonou, Mario Mètonou a promis une « peine exemplaire » lors de sa sortie médiatique en février dernier. C’est au juge de le décider. La sentence va-t-elle décourager ce qui est arrivé à Gracia Prunelle ? On ne le sait pas encore. Mais une certitude : la décision ne fera pas obligation au peuple béninois d’apprendre à s’indigner autrement sur ces maux, qui ne sont pas des sujets politiques, mais qui minent notre société