Il ne lui a fallu que quelques mois pour s’attacher la sympathie de la communauté internationale, en recevant le prix Nobel de la Paix en 2019. Aujourd’hui, sa gouvernance est digne d’un conquérant qui veut recouvrer l’entièreté de ses terres.
C’est un Oromo, une majorité ethnique de l’Éthiopie. Sa prise de pouvoir en 2018 a suscité de l’espoir au sein de sa communauté et de la société éthiopienne. Il n’a d’ailleurs pas hésité à continuer la politique de libération des prisonniers politiques engagée par son prédécesseur et a incité le retour d’exil de Birtukan Medeksan, une opposante autrefois réfugiée aux États-Unis sous le régime de l’ancien Premier ministre Menes Zenawi. Les premiers mois de sa gouvernance, Abiy Ahmed a multiplié les gestes d’ouverture et de démocratie. C’est ainsi qu’en juillet 2018, l’Érythrée et l’Éthiopie ont déclaré la fin de la guerre et la réouverture des frontières entre les deux pays, fermées depuis 10 ans. Une guerre meurtrière avait même opposé les deux pays entre 1998 et 2000. Des réformes de grandes envergures ont été menées contre la corruption et la répression.
Pourtant, en cette année 2019 où il reçut le prix Nobel, des signes avant-coureurs de durcissement de son pouvoir étaient perceptibles. Suite à un Coup d’Etat qui n’a pas prospéré dans la région de l’Amhara, plusieurs arrestations ont eu lieu. Parmi les personnes arrêtées figureraient des journalistes. Et des centaines de morts étaient déplorées.
Abiy Ahmed, désormais Chef de guerre ?
L’ultimatum donné par le Premier Ministre éthiopien aux « rebelles » du Tigré étant arrivé à terme, celui-ci n’a pas hésité à lancer une offensive armée contre cette région de plus de 8 millions d’habitants. La capitale du Tigré, Mekele, comporte à elle seule 500.000 habitants. Samedi (12.12), un convoi de sept camions de la Croix-Rouge est arrivé à Mekele. Le convoi transportait des médicaments et du matériel médical. C’est la première fois que l’aide humanitaire parvient aux populations depuis que le Premier ministre a lancé l’offensive contre la région dissidente du Tigré, le 4 novembre dernier. Depuis le début des affrontements, près de 50.000 habitants du Tigré ont fui vers le Soudan voisin ou vers d’autres régions de l’Ethiopie avec l’espoir de retrouver leurs terres un jour.
Le Premier Ministre Abiy Ahmed argue que c’est un conflit interne, l’Union Africaine n’ayant donc pas droit d’y intervenir. Mercredi (09.12), la Haute commissaire aux droits de l’Homme de l’ONU, Michelle Bachelet, a fait savoir que le conflit qui oppose les forces gouvernementales et les « rebelles » du TPFL (front de libération du peuple du Tigré) est « hors de contrôle ». L’ancienne présidente chilienne a ajouté que « les combats continuent bien que le gouvernement affirme le contraire ». Abiy Ahmed s’est comporté en chef de guerre lors de sa visite ce week-end à Mekele.
Ce jusqu’au-boutisme s’explique par le fait que le Tigré est le seul territoire qui échappait encore au contrôle du gouvernement éthiopien fédéral, et le seul qui était sous le contrôle du TPLF. Ce mouvement identitaire affilié aux peuples du Tigré s’est pendant plus de 25 ans imposé dans la gouvernance du pays. La prise de pouvoir de Abiy Ahmed était pour les caciques de ce mouvement une menace pour leur survie et pour le reste du pays, l’occasion d’unifier un pays longtemps divisé et affidé au Front de libération du peuple du Tigré.