Alors que la deuxième semaine de la campagne électorale est lancée pour le scrutin présidentiel, regard sur un scrutin dont le pays pourrait ne jamais se remettre de ses conséquences.
Dans quel état d’esprit le président de la République entame la dernière semaine de la campagne électorale ? Patrice Talon, c’est de notoriété publique, est un homme qui a du goût. Et alors que se tient le 7ème scrutin présidentiel dans moins de dix jours, quelle saveur aura cette sauce que vont goûter les près de cinq millions d’électeurs béninois et au-delà ? Quel taux de participation à ce scrutin ? Patrice Talon a déjà demandé aux populations d’aller voter. « Carte Lépi périmée ou pas, avec ça on peut voter », a-t-il déclaré lors d’un meeting. Un peu comme si Patrice Talon veut soigner son coup KO, qu’il est sûr de réaliser dès le jour du scrutin.
Déjà la campagne électorale entamée vendredi 26 mars donne le ton de la présidentielle du 11 avril : une élection à sens unique. C’est Patrice Talon qui occupe largement le terrain. Si ce n’est le président sortant, ce sont les partis qui le soutiennent qui sillonnent villes et villages. L’opposition amenée par les duos FCBE (Alassane Soumanou-Paul Hounkpè) et Restaurer la confiance (Corentin Kohoué et Irenée Agossa) est très peu visible pour cette campagne. L’un des indicateurs est le journal parlé à la radio nationale : les reportages de la campagne de Patrice Talon dominent.
D’où venons-nous ?
Depuis plusieurs semaines, le monde regarde le Bénin. Très régulièrement est résumé dans les médias internationaux le scrutin présidentiel de la manière suivante : le président sortant Patrice Talon est sur un boulevard qui va lui garantir sa réélection. De nombreux observateurs nationaux et internationaux ne se font aucun doute sur la réélection du compétiteur né. Face à lui deux candidats, Corentin Kohoué et Alassane Soumanou, issus d’une opposition divisée. Ces deux opposants qualifiés par l’opposition radicale de sparring-partners de Patrice Talon drainent certes du monde lors de leur déplacement. Mais il n’est pas sûr qu’ils fassent le poids devant Patrice Talon. A moins que…
A moins que l’opposition radicale n’appelle à soutenir ces deux candidats qui ont des liens avec l’ancien président Boni Yayi. Pour le reste, le Bénin sait d’où il vient. Les candidatures notamment de Joël Aïvo et de Reckya Madougou ont été invalidées. L’ancienne ministre est en détention provisoire pour financement présumé du terrorisme depuis un mois. Pour autant, l’invalidation des candidatures de Aïvo et Madougou ne faisait pas de doute. Ils n’avaient pas les parrainages requis.
Dans une Assemblée nationale en majorité composée d’élus proches du pouvoir et des conseils communaux dominés à une écrasante majorité par la mouvance, on ne pouvait pas s’attendre à des parrainages au profit des candidats dérangeants. La promesse de Patrice Talon pour un scrutin pluraliste a-t-elle été tenue ? Des divergences d’opinions ne sont pas exclues. Le Bénin est parvenu à cette absence de l’opposition dans les mairies et au Parlement en raison de l’échec de la classe politique dans son ensemble. Elle a été incapable de s’entendre lorsque le peuple attendait des acteurs politiques un minimum de consensus.
Tous coupables
Du coup, nul n’est épargné dans cette abysse dans laquelle est tombée le Bénin : l’organisation d’un scrutin sans véritablement enjeu. La politique suppose une compétition et cette compétition a très certainement déjà un vainqueur : Patrice Talon. En cela, l’opposition peut s’en prendre à elle-même alors qu’elle n’a pas changé de fusil d’épaule face à un Patrice Talon qui a apporté de nouveaux paradigmes en politique. Le président de la République n’a pas su vraiment concrétiser sa volonté de faire du scrutin présidentiel une fête. Une autre étape de son entrée dans l’histoire ?
La société civile sort aussi écornée dans ce lot alors que ce scrutin approche à grands pas. De plus en plus, l’opinion publique voit en elle des hommes et des femmes résignés, pourtant si actifs jadis. La presse bien sûr est mise au banc des accusés, mea culpa. Si le Bénin en est à ce stade, c’est en grande partie à cause des professionnels des médias liés par des contrats. Le pouvoir et l’opposition ont acheté le silence de la plupart des journalistes. Les intellectuels ? Ils ont eu le temps de se racheter. Hélas ! Ils ont montré leur qualité de fins tacticiens en matière d’interprétation et de justification des lois les plus décriées. Résignés aussi, ils ont donné l’air de raisonner jusqu’à tomber dans l’abîme et de serrer les rangs pour aller à la rivière. Enfin, le peuple ! C’est lui qui change le cours de l’histoire de chaque pays. Mais c’est très souvent lui qui pâtit des mauvaises décisions des dirigeants. La démocratie béninoise : pouvoir du peuple, par le peuple et contre le peuple.