« Juriste-Internationaliste, Djidénou Steve KPOTON s’est également intéressé à la guerre en Ukraine. Selon lui, les causes de cette invasion « sont à rechercher dans les vestiges de la guerre froide et l’effondrement de l’URSS ». Dans une réflexion, le juriste – internationaliste évoque la crise ukrainienne sur quatre différents volets qui pourraient justifier cette invasion, une « surprise incompréhensible ». Lire sa tribune
Comme annoncé par les officiels américains, l’armée russe a envahi l’Ukraine à la surprise incompréhensible des Etats Européens. L’humanité fait face à une crise militaire et géopolitique dont, selon certains analystes, les causes sont à rechercher dans les vestiges de la guerre froide et l’effondrement de l’URSS. Si l’issue de la crise est imprévisible, car personne ne sait jusqu’où ira Poutine dit-on, il y a cependant des faits dont une analyse objective pourra permettre de tirer quelques enseignements prospectifs sur le futur de la crise.
Premièrement, la rhétorique du casus belli construite et évoquée par Poutine dans son discours du 24 février est compréhensible. L’Ukraine est un Etat indépendant, mais une partie des Ukrainiens, selon Poutine, veut adhérer à l’Union Européenne et l’OTAN. Cette ambition assumée depuis 2008 peut être comprise comme un désir de sécurité. Mais, en voulant intégrer l’OTAN, de qui ou de quoi l’Ukraine veut-elle se protéger ? Assurément de la Russie. Et comme l’a professé Henry Kissinger, le désir de sécurité absolue d’une nation signifie une insécurité absolue pour les autres. A fortiori, l’exigence de la Russie – la neutralité de l’Ukraine et l’impossibilité de voir l’OTAN à ses frontières – ce désir de sécurité signifierait également une insécurité pour les autres nations dont l’Ukraine. Rappelons-le, l’OTAN est déjà présente dans la sphère d’influence géopolitique de la Russie (Pologne, Roumanie, etc.) sans jamais l’attaquer. L’OTAN n’a réagi ni à l’intervention russe en Géorgie en 2008, ni à l’intervention russe en Ukraine en 2014. Par ailleurs, si l’OTAN s’est ravisée d’intervenir en Syrie, c’est en partie à cause de la forte présence militaire russe dans ce pays. On peut constater que le prétexte sécuritaire évoqué par le Président Russe pour envahir l’Ukraine est semblable à celui soulevé par les Etats-Unis pour envahir l’Irak. Mais encore faut-il que ce prétexte soit évident, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
Deuxièmement, dans son discours, le Président Poutine s’est référé maintes fois à l’histoire et la culture pour parler de l’Ukraine. Pour lui, l’Ukraine est une partie de la culture et de la civilisation russe. Son territoire fait partie intégrante de la Russie et c’est une trahison du Parti Communiste de l’avoir créée République indépendante en 1922. Ce qui n’est pas totalement faux et doit être considéré comme un facteur déterminant dans l’attitude de Poutine vis-à-vis de l’Ukraine. Même s’il ressort des travaux de plusieurs historiens que la nation ukrainienne a existé avant la nation russe. Qu’importe ! Le fait est que Vladimir Poutine est un ancien cadre influent du KGB qui a vécu l’effondrement de l’URSS et le triomphe de la démocratie libérale comme la pire humiliation infligée à la nation russe. Après l’extension de l’Union Européenne aux pays baltes, trois ex-républiques de l’ex-URSS, instaurer à Kiev une démocratie libérale orientée vers l’Union Européenne serait une provocation de trop. Et pourtant, les occidentaux l’ont fait en 2014 en soutenant les manifestants de la place Maidan qui ont renversé le Président ukrainien pro-russe d’alors. Plus ou moins, la démocratie est en marche dans ces anciennes Républiques de l’ex-URSS qui ont viré dans l’option politique occidentale. L’alternance au sommet de l’Etat est une réalité, les libertés sont garanties et les droits humains sont protégés. Cette fièvre de la démocratie libérale, inoculée à dose homéopathique dans les peuples slaves dont font partie les Russes pourrait avoir raison, un jour, de Moscou. Ce qui serait l’achèvement total du modèle politique Russe. Or, reconstruire l’Empire Russe, consolider et étendre sa sphère d’influence constitue une ambition obsessionnelle de Vladimir Poutine. Une ambition légitime.
Troisièmement, pourquoi l’Europe a-t-elle fait l’option de la diplomatie ? Et, pourquoi les américains n’entrent pas en guerre ? Pour dire vrai, c’est un principe sanctuaire en relations internationales que deux Etats qui ont des liens commerciaux et économiques sont moins tentés de se faire la guerre. Les Etats européens à commencer par les plus influents de l’OTAN que sont l’Allemagne, la France, l’Italie et l’Angleterre commercent avec la Russie et ont avec cette dernière des accords stratégiques dans plusieurs domaines. Pour ces pays, dont l’opinion publique est devenue viscéralement contre l’hégémonie guerrière des américains, la voie diplomatique est une option compréhensible (la rencontre Macron-Poutine à Moscou le 07 février, Poutine-Scholz le 15 février à Moscou) même si l’envahissement de Ukraine par la Russie montre qu’elle a été un échec, du moins, pour l’instant, contre-productif. L’OTAN est une alliance défensive selon son principe fondateur (article 5 du traité). Tous les Etats membres sont tenus de porter assistance militaire à un membre agressé. Dans son discours de déclaration de guerre à l’Ukraine, le Président russe est revenu plusieurs fois sur un fait : ‘’en décembre 2021, nous avons fait une nouvelle tentative de parvenir à un accord avec les Etats-Unis et leurs alliés de l’OTAN sur les principes de la sécurité européenne et de la non expansion de l’OTAN. Nos efforts ont été vains. (…). Ils ne croient pas nécessaire de s’entendre avec la Russie sur une question qui est critique pour nous’’. En somme, Poutine qui semble être sincères avec ses partenaires européens, ne veut discuter qu’avec Joe Biden. Mais, il y a une donnée très importante dont il faut tenir compte dans l’analyse de la position américaine face aux revendications légitimes de Poutine. Contrairement à ses prédécesseurs (Obama et Trump) dont les analystes ont souvent pointé le peu d’expérience dans les relations internationales, le nouveau locataire de la maison blanche a dirigé la Commission des relations internationales du Sénat pendant 30 ans et a été pendant 08 ans Vice-Président des Etats-Unis : donc on peut dire « he knows the job ». Pour s’en convaincre, Poutine a répété aux européens que la Russie n’envisage pas d’envahir l’Ukraine. Les américains ont soutenu le contraire et ont même, très tôt, évacué leurs diplomates de Kiev. In fine, la Russie envahit l’Ukraine et fait une guerre qui indigne toute l’Europe et suscite les manifestations à Moscou et à Saint-Pétersbourg. Joe Biden, depuis la guerre de l’Irak, rétablit dans l’opinion publique occidentale la crédibilité des renseignements et de la diplomatie américains.
Quatrièmement, dans son discours du 24 février, le Président russe est revenu sur les interventions des américains et de l’OTAN qui selon ses termes constituent de graves atteintes au droit international et aux principes des relations internationales tels qu’ils ont été définis et prescrits par la Charte des Nations Unies. Paradoxalement, après avoir dénoncé tout cela, le Président russe décide à son tour de violer le droit international et les mêmes principes qui gouvernent les relations internationales. C’est peu dire que ce n’est pas faire preuve de grandeur. En tous les cas, à l’instar des interventions américaines dénoncées par le Président russe dans son discours, la campagne militaire russe en Ukraine pourrait contribuer à dégrader l’image de la Russie et de Poutine dans l’opinion publique occidentale notamment européenne. Encore que, là où les Américains pouvaient se fonder sur les attentats du 11 septembre 2001 pour justifier la guerre contre l’Afghanistan et l’Irak, le Président russe aura du mal à justifier l’invasion de l’Ukraine. Quelle est l’agression commise par l’Ukraine ou même par un Etat membre de l’OTAN qui pourrait sérieusement justifier l’invasion russe ?
Peut-on, en conclusion, tirer comme enseignement que la démocratie libérale soit la plus grande menace que craint Vladimir Poutine ? Non pourrait-on répondre a priori. Cependant, la réflexion peut se poursuivre au regard de certains faits. Vladimir Poutine est aux commandes de la Russie depuis 22 ans, et il a la possibilité d’y rester jusqu’en 2036. Il a connu 05 Présidents des Etats-Unis, 04 Présidents Français, 03 chanceliers Allemands, 05 Premiers ministres britanniques, 09 Premiers ministres italiens et 03 Présidents chinois. Tous ces pays cités, à l’exception de la Chine et des Etats-Unis, sont sur le continent européen et ont une situation économique meilleure à celle de la Russie malgré ses énormes potentialités. Les Etats-Unis, grand rival politique et historique est la première puissance économique et militaire du monde. La Chine, avec un socialisme rectifié sur la plan politique et perméable à l’économie de marché, est la deuxième puissance économique et militaire au monde. En chine, les hommes changent mais la vision ne change pas et les résultats en matière de développement économique sont probants et édifiants. Ces faits sont connus des Russes qui pourraient se lasser de la vision conquérante de Poutine qui n’est pas combinée, pour l’instant, avec un développement économique qui assure un bien-être aux russes en comparaison aux pays cités. La prochaine élection présidentielle en Russie est pour 2024. Sans résultats économiques probants (la Russie a le même PIB que l’Espagne), la réélection de Poutine et son éternisation au pouvoir n’auront de sens pour les russes s’il n’y a pas des ennemis désignés qui veulent détruire la nation russe. Une nation russe que seul Poutine peut protéger !
Djidénou Steve KPOTON
Juriste-Internationaliste