Certains médias l’annonçaient comme un ballon d’essai depuis quelques jours. L’information est confirmée depuis ce mercredi matin par le site officiel du gouvernement. Patrice Talon démarre une tournée nationale ce jeudi 12 novembre 2020. Une tournée, comme un changement de cap du « talonisme » Mais une tournée close, sans ferveur, le coronavirus change tout.
Depuis l’annonce par les médias de cette tournée nationale, les Béninois se demandaient bien comment le chef de l’État ferait dans certaines régions. Beaucoup voyaient en cette occasion, la chance pour Patrice Talon de mettre en évidence sa popularité. Le temps de faire taire définitivement les bouches qui ne cessent de voir la fracture entre le régime et son peuple. En cela, le moyen dont disposent les acteurs politiques restent le même : les bains de foule. Et même dans le rang des partisans du chef de l’État, il se nourrissait cette grande envie de voir une fois enfin le chantre de la rupture soulevé par des foules en liesse, des foules mortes de reconnaissance d’un Bénin qu’il transforme.
Le bâton de pèlerin de Talon
Voir le « compétiteur né », ville après ville, soulever des émotions incontrôlables, un rêve à ranger. Grâce à la Covid-19, on ne saura vraiment si le peuple est si attaché à son chef. La tournée sera close, toute aussi que Patrice Talon l’a été le long de son mandat qui s’achève bientôt. « Les mesures barrières seront strictement observées et il n’y aura pas de grands regroupements », selon le gouvernement. A moins que les populations ne fassent fi des règles de distanciation sociale, par curiosité, par un désir de voir un président qu’elles n’ont peut-être jamais vu physiquement.
Plusieurs communes seront sillonnées. Le chef du gouvernement béninois veut faire le constat des chantiers engagés et avoir le retour, observations et appréciations de ses concitoyens, explique en substance le communiqué. Un grand changement dans le mode opératoire de Patrice Talon. En politique comme en affaire, en effet, le chef de l’État n’a pas gagné parce qu’il était connu. C’est tout le contraire. De ses nombreuses sociétés, plusieurs sont nichées dans la zone septentrionale du pays. Bureaux, usines, négociants, le Nord Bénin et ses vastes étendues de coton sentent Patrice Talon sans l’avoir vu. Une absence physique qui ne remet pas en cause un savoir-faire rare. S’enfermer, se couper du monde est en définitive l’atout de ce chef qui loin de vous et de vos plaintes entre dans vos têtes et anticipe. « Les oppositions béninoises » l’ont su à leurs dépens et c’est Paul Hounkpè qui en jouit. Donc, oser aujourd’hui déserter la somptueuse Marina refaite, doit avoir des motifs solides et des risques possibles.
Talon : un président normal ?
Depuis quatre ans, la rupture a mal vécu l’omniprésence de Boni Yayi sur le terrain. Ses agitations, ses agissements, ses bains de foule vont conduire Talon dans un extrémisme conclu par l’épisode honteux d’un conteneur chez Boni Yayi. A lui s’ajoute un Joël Aïvo qui, se trompant d’amphithéâtre, se met à donner des cours de ville en ville. Le professeur a troqué ses cours contre une ambition qui le mène de bain de foule en bain de foule. Ajouté à tout ceci, la marche des femmes des marchés. Un homme proche du pouvoir de dire s’il se relance dans la course à sa propre réélection, Patrice Talon n’a pas le choix, il ne peut pas laisser le terrain à un enseignant qui rêve de son fauteuil. Cette longue tournée annoncée, sonne comme la réplique du dialogue itinérant. Une réplique en attendant le face à face que le professeur veut avoir avec Patrice Talon.
En s’amenant dans le jeu du terrain, Talon risque une chose qu’il sait sans doute : la banalisation de ce statut de supra homme. Cette légende tissée autour de sa personne qui fait de lui un « Agbonnon » va s’effriter. Le terrain n’est pas son jeu. Pour lui, il présente plus de risques que d’avantages. Et au-delà de la pandémie, ceci explique cela. Le choix des élus locaux, des membres d’associations, des notables pour assister aux rencontres de cette tournée répond à une logique stratégique. Tourner, aller sur le terrain, mais toujours garder la marque Talon : diriger un monde, le contrôler, le mettre à ses pas en étant coupé de lui.