Pour un influenceur, Kamal Radji est exceptionnel. Un afro-optimiste sans bornes qui veut réveiller ses pairs, les jeunes, par les nuances que l’on ne rencontre que dans une lecture bien orientée. De l’anti-néocolonialisme, à l’anti-religions importées en passant par les virulences d’un procès contre l’aliénation mentale et culturelle, le slameur fait feu de tout bois. Avec une seule faiblesse, Talon, le président de la République béninoise dont il porte l’amour comme un handicap.
Kamal Radji, ce garçon au look qui annonce déjà de loin la controverse. Il a connu son ascension musicale au détour de quelques titres de slam critiques à l’égard des gouvernants africains. Des titres qui toisent aussi ouvertement l’impérialisme occidental. Dans ce premier mandat de Boni Yayi qui drainait un certain nombre de scandales, chanter contre la mauvaise gouvernance donnait beaucoup de points.
Sur le plan international, avec le déclin du reggae politique récemment endossé par Tiken Jah Fakoly, les jeunes ont soif des chansons politiques. Kamal le jeune d’à peine 20 ans fait tabac. Il devient une icône incontestable.
Le régime de Boni Yayi tire à sa fin et la succession de celui-ci est lancée. Kamal qui entre temps était déjà actif dans les mouvances anti-francs CFA va faire de l’élection présidentielle de 2016 un cheval de bataille. Talon élu, une bataille gagnée dont le jeune continue de se vanter. Attaqué parfois sur ses canaux digitaux pour son soutien sans critique au régime béninois, il s’est fait le plus souvent prompt à répondre avec agressivité et même d’insultes, si ce n’est avec des qualificatifs réducteurs.
A couteaux tirés avec les jeunes
Dans cette grande audience dont il bénéficie grâce à ses références culturelles à toute épreuve et ses lectures qui font mouche, Talon lui colle à la peau. S’il fallait le refaire, se battre pour un politique le referait-il ? La question se pose et semble même grandement freiner la popularité de celui qui semble bénéficier d’une admiration partie pour être sans limites. Patrice Talon, même s’il gouverne autrement a fait beaucoup de victimes politiques. Ses réformes ont bousculé plus d’un. Des réformes aussi qui ont fait des pertes en vies humaines. Ailleurs, ses réformes ont conduit à créer des chômeurs. Son bilan fera toujours débat comme celui de tout président. À se positionner en si bon soutien du chef de l’Etat, Kamal a réussi à se mettre à dos une frange de la jeunesse et le fossé se lit à travers des commentaires parfois désobligeants sur ses canaux digitaux suivis par des milliers de personnes et relayés par centaine.
L’héritage de l’engagement pro-Talon n’entame pas que sa popularité et ses rapports d’avec son audience. C’est un héritage encombrant qui bouscule la tranquillité au sein de l’urgence panafricaniste, le mouvement anti CFA au Bénin. Kémi Séba, le leader du mouvement n’a pas les mêmes yeux pour la gouvernance Talon bien que celui-ci ne critique pas vertement le régime de Porto-Novo. Il garde ses distances. Cette opposition de point de vue pose problème entre les deux ténors. « Kémi et lui ne partagent pas le même avis sur la gestion du pays même sur certaines questions internationales », confie une source introduite dans la mouvance anti CFA. Qui ajoute que le fossé est même devenu plus grand quand des divergences de point de vue ont fait surface au sujet de l’avenir du mouvement panafricaniste. « Kamal était pour la création d’un parti politique, Kémi non. Ce n’est pas la lune de miel entre les deux ténors. Mais, l’un a besoin de l’autre et vice versa. Raison pour laquelle, ils sont encore ensemble », explique encore notre interlocuteur qui a requis l’anonymat.
Urgence panafricaniste, section Bénin qui est aussi le fer-de-lance de tout le mouvement africain semble être ainsi secoué par une vision et une proximité avec la politique nationale. Une proximité et une posture idéologique qui divisent. Le mouvement panafricaniste béninois, fer-de-lance du mouvement continental, risque à terme une scission. Si Kémi reste populaire, incontournable, Kamal lui a le vent en poupe. Sa proximité et son amour pour le chef de l’État font de lui un élément sûr, contrôlable aux yeux de l’État contrairement à l’autre ténor de qui plusieurs États se méfient.