Alors que le Niger et le Gabon s’ajoutent à la longue liste des pays africains secoués par les putschs, l’Afrique est face à un défi de rééducation démocratique.
La résurgence des coups d’État militaires en Afrique (de l’ouest surtout) devient un sujet préoccupant sur la scène politique du continent. Dans un contexte de menace terroriste, ces dynamiques inquiétantes qui animent l’actualité de ces pays où les réalités (défis sécuritaires) semblent être les mêmes, compliquent encore plus la situation dans la mesure où la menace de n’avoir rien à manger était déjà un gros défi.
Face à ce retour des coups d’état dont les causes sont multiples et varient d’un pays à un autre, contrairement aux arguments avancés par les putschistes, Odilon KOUKOUBOU pense que « le fait qu’il y ait des états ayant connu des putschs sans être sous menace terroriste est la preuve que le terrorisme n’est pas un dénominateur commun de la nouvelle vague de coups d’état ». Dans un entretien accordé à notre rédaction, sur le sentiment anti français qui se dégage de ces putschs, le politologue et Spécialiste des politiques de sécurité au Civic Academy for Africa’s Future (CiAAF Think Tank), y trouve « une part d’objectivité ». Ceci parce que « la présence française au Sahel n’a pas montré des preuves d’efficacité irréfutables » en matière de lutte contre le terrorisme précise-t-il. Un entretien enregistré avant l’annonce de la fin de la coopération militaire entre la France et le Niger dirigé par le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP).
Eketiinfo: Le Mali, la Guinée, le Burkina Faso, le Niger et récemment le Gabon. Êtes vous surpris de cette cascade de coups d’État ?
Odilon KOUKOUBOU: Pour qui observe la gouvernance dans ces différents pays, il n’y a pas besoin d’être surpris. Et d’autres pays de la sous-région ne sont pas à l’abri du même phénomène.
Quelles sont selon vous les causes lointaines et immédiates de cette résurgence de ce phénomène putsch ?
De manière générale, il y a un réel problème de gouvernance qui se pose. Je pense qu’il y a quelques évolutions sur le plan de la démocratie que les gouvernants n’ont pas su capter et auxquels ils ne se sont pas encore vraiment adaptés. La première évolution, c’est que le citoyen est de plus en plus exigeant à l’égard du gouvernant. Son vote n’est plus une assurance de légitimité pour un mandat, mais il exige du gouvernant que ce dernier mérite au quotidien la confiance et la légitimité qu’il lui accorde. En étant exemplaire d’une part et en gouvernant au profit des intérêts du peuple d’autre part. Quand le gouvernant se détourne de cette voie, il perd la confiance du citoyen et n’est donc plus à l’abri de rien. La deuxième évolution, c’est qu’il est désormais de plus en plus difficile de tronquer les résultats d’une élection. L’engagement des jeunes décuplé par l’effet des réseaux sociaux rend très risquée toute entreprise de fraude massive au cours des élections. Et quand vous vous obstinez à le faire, vous n’êtes plus à l’abri de rien. La troisième évolution que je souhaite relever, c’est qu’il y a de plus en plus un éveil de conscience de la part des jeunes. Ils comprennent mieux les enjeux ; ne se sentent pas liés par des liens historiques auxquels ils n’ont pas souscrit ; réclament de plus en plus de liberté et de souveraineté. Dans ces conditions, si vous accumulez les fautes et qu’ils n’arrivent pas à vous faire partir par les urnes ou par la rue, ils n’ont aucune compassion pour vous quand ceux qui détiennent les armes de la République les utilisent pour réaliser leurs vœux. Et l’accumulation des fautes des gouvernants et des frustrations des gouvernés est une opportunité pour les putschistes. Ils en profitent pour se poser en alternative crédible.
Hormis le Gabon et la Guinée, tous les autres pays où les militaires ont pris le pouvoir sont sous la constante menace des attaques djihadistes. Et l’un des motifs selon les putschistes de ces pays, c’est la mauvaise gestion de ce volet par les présidents (Civils) démocratiquement élus. Un argument justifié ?
Le fait qu’il y ait des États ayant connu des putschs sans être sous menace terroriste est la preuve que le terrorisme n’est pas un dénominateur commun de la nouvelle vague de coups d’État et que surtout les contextes nationaux ne sont pas identiques. Les putschs ne peuvent donc pas se justifier de la même manière. Dans certains cas comme le Mali et dans une certaine mesure le Burkina, des faits objectifs liés à la question terroriste sont mis en avant ; et on peut constater que les auteurs du putsch ont été, d’une manière ou d’une autre, au front de la lutte contre le terrorisme. Au Niger par contre, on ne pourrait vraiment pas en dire autant. Ce sont plutôt des soldats de la garde présidentielle qui ont pris le pouvoir. Et on a l’impression que c’est après coup qu’ils se sont mis à colmater les arguments pour justifier. C’est donc difficile de répondre de manière péremptoire à votre question. Ce que je note par contre dans cette région, c’est que la lutte contre le terrorisme reste considérée comme une affaire de militaires ; et d’ailleurs la réponse militaire reste celle dominante. Et quand on observe que les exemples de relatif succès contre le terrorisme dans la région sont la Mauritanie et le Tchad dirigés par des militaires, on peut objectivement penser qu’il se crée une sorte d’illusion régionale que la lutte contre le terrorisme ne peut être conduite que par des militaires. Les Maliens ont ouvert la boîte de pandore. Les Burkinabè ont suivi et le Niger a fermé la boucle. Et aujourd’hui, toute la région G5 Sahel est dirigée par des officiers militaires.
Quel sera l’impact des coups d’État militaires sur le terrorisme dans le Golfe de Guinée avec la présence des groupes affiliés à la branche sahélienne d’Al Qaïda appelés JNIM ?
C’est un impact encore difficile à évaluer avec précision. Ce qu’on observe, c’est que les attaques contre les pays du Golfe de Guinée, dont le Bénin, ont vraiment pris d’ampleur depuis le coup d’Etat au Burkina et que les zones frontalières de ce pays avec les pays côtiers ne semblent pas être complètement maîtrisées côté Burkina. Mais c’est une tendance qui a commencé avant le putsch. On ne peut donc pas affirmer d’emblée que les putschs entraînent une conséquence directe sur la situation sécuritaire dans le Golfe de Guinée.
Depuis un moment, un sentiment anti français se développe parce qu’on tente de faire croire que c’est la présence des bases militaires françaises ou américaines dans ces pays qui favorisent le djihadisme. Qu’en dites-vous ?
Il y a une part d’objectivité dans ce sentiment qui s’est enraciné dans toute la région. La présence française au Sahel n’a pas montré des preuves d’efficacité irréfutable. On semble avoir eu plutôt le contraire de ce qui était attendu, c’est-à-dire une aggravation plutôt qu’une atténuation de la menace. A cela, il faut ajouter le caractère clivant du président français. Il est d’un paternalisme et d’une arrogance qui insupportent les Africains et nourrissent fortement ce que vous appelez sentiment anti-français. Outre cela, il y a aussi une part d’instrumentalisation de ce mouvement qui risque de le desservir. On a l’impression que certains putschistes voire des gouvernants d’autres pays tentent de récupérer ce mouvement en se l’appropriant simplement parce que c’est le discours qui mobilise les foules et attire la sympathie actuellement. Ce type de populisme peut plomber le mouvement.
Ces pays auront-ils vraiment les moyens pour combattre le terrorisme après le départ des troupes françaises ?
De toutes les manières, une décennie de présence des troupes françaises ne les a pas aidés à combattre efficacement la menace. Au contraire, la menace initialement circonscrite au nord du Mali, s’est propagée dans tout le Sahel central et s’attaque désormais aux pays côtiers. On ne peut donc pas reprocher à ces pays le fait de vouloir tenter d’autres solutions, y compris de croire en leurs propres capacités à combattre la menace. Après, ce qu’on constate, c’est que la rupture avec avec la France s’accompagne simultanément d’un réchauffement des liens avec d’autres acteurs jugés moins paternalistes, moins arrogants et moins intrusifs dans les affaires politiques internes de ces pays. Cela produira-t-il des résultats plus convaincants en terme de lutte contre le terrorisme ? C’est tout le mal qu’on peut leur souhaiter.
Avec les relations tendues entre la CEDEAO et les pays membres qui ont subi des coups de force, pensez-vous que l’idée de l’institution régionale, en décembre 2022, actant la création d’une « force d’intervention contre le terrorisme » conjointe ou l’Initiative d’Accra visant à démanteler et mettre hors d’état de nuire les groupes armés terroristes pourraient prospérer ?
Ça fait déjà 6 ans que l’Initiative d’Accra existe sans jamais prospérer. La fameuse force antiterroriste n’est une déclaration d’intention supplémentaire de la part de la CEDEAO. Tout ce qu’elle a déclaré entreprendre contre le terrorisme dans la région, est resté sans suite à ce jour. Souvenez-vous du sommet de Ouagadougou contre le terrorisme organisé en septembre 2019. Elle n’a donné lieu à aucune action concrète, visible et décisive.
Les autres pays de la CEDEAO moins touchés par les attaques terroristes doivent ils désormais craindre pour une avancée rapide de ces groupes vers eux ?
Ce n’est pas maintenant qu’ils doivent craindre. Ça fait déjà longtemps que plus aucun Etat de la région n’est à l’abri de cette menace.
Votre mot de la fin
Espérons que le Sahel et plus largement l’Afrique de l’Ouest retrouvent la paix.