Un culturel hors pair. Homme de lettres atypique il était. Camille Adébah Amouro, auteur de plusieurs œuvres littéraires, arraché à l’affection de ses contemporains dans un accident de circulation (22.12.21, ndlr), a été conduit à sa dernière demeure ce jeudi 30 décembre 2021. Depuis sa tragique disparition, les hommages ne tarissent pas. Chacun y va de sa mesure pour célébrer cet illustre écrivain, journaliste-chroniqueur, dramaturge et metteur en scène. Valère VIGNIGBÈ, entrepreneur culturel et chroniqueur littéraire, n’a pas manqué de faire son témoignage sur cet « esprit » libre de la « République de l’Atacora ». Lisez plutôt son hommage.
« 2012. Jeune entrepreneur culturel et chroniqueur littéraire sur l’émission Culture Matin de l’ORTB TV, je recevais beaucoup de manuscrits de jeunes auteurs qui comptaient sur mes petites entrées dans le cercle fermé des acteurs du livre pour se faire éditer. Ils ne manquaient pas de talent, ces camarades. Leurs œuvres avaient déjà la physionomie d’un travail évident de création et donc dignes de publication.
Mais, à l’exception de quelques uns, ces jeunes que je recommandais aux différentes maisons d’édition ne réussirent pas à se faire éditer. Les difficultés d’édition à l’époque étaient réelles et bien têtues.
La plupart de ces jeunes créateurs sont des amis des clubs littéraires. Au détour donc d’une causerie entre amis, nous avons pris l’intrépide décision: agir! Nous avons décidé de créer une maison d’édition. <<Créer et faire vivre une maison d’édition, il y a loin de la croupe aux lèvres…>>, pourrait-on, à juste titre, nous avertir. Mais nous étions résolus. Nous savons que nous pouvons compter sur notre dynamisme, nos réseaux, et surtout sur l’expérience de Rodrigue Atchahoue qui, lui, a travaillé à Ruisseaux d’Afrique, la prestigieuse maison d’édition béninoise. Les Éditions Tamarin ont donc vu le jour. Un projet porté par quatre jeunes rêveurs : Djamile Mama Gao, Rodrigue Atchahoue, Ismaël Ichola et moi-même. La ligne éditoriale de Tamarin était naturellement tracée : faire lire ce qu’il convient d’appeler la nouvelle génération des écrivains béninois.
Les manuscrits pleuvaient au siège de Tamarin. Les textes intéressants les uns que les autres. Nous faisions nos premiers pas, cherchant nos marques quand, un beau jour, une idée me traversa la tête: la publication d’une anthologie de poésie avec sept poètes porteurs de feu. Sept comme la maîtrise de l’esprit sur la matière. Sept comme les couleurs de l’arc-en-ciel. Sept comme les jours de la semaine. Sept comme…
Cette idée a été chaleureusement accueillie par mes amis-collègues puisqu’elle nous donnait l’opportunité de publier plusieurs auteurs en un seul geste, un seul livre.
Quelques jours seulement après que l’idée eût été émise, les sept poètes étaient retenus et les textes disponibles. Il nous fallait choisir un préfacier et un postfacier. Nous nous réclamons tous de la Névralgie. C’est donc tout bonnement que le rôle de postfacier a été confié à Constantin Amoussou, l’auteur du ruban de poème « Hydraulique de mes paupières (tessons de paroles névralgiques) », ce grand livre, manifeste de la poésie névralgique. Le choix du préfacier, par contre, nous a fait longtemps réfléchir. Le préfacier, disions-nous, doit être un poète, un vrai, pas un rimailleur. Il doit être, comme l’a su bien écrire le poète Daté Atavito Barnabé Akayi, <<Celui dont la vie mesurée avec l’instrument qui quantifie le voltage de la révolte, indique un entier naturel non nul>>
Plusieurs propositions de noms d’écrivains béninois et étrangers ont été faites. Aucune de ces propositions de nom ne recevait l’approbation de tous. Puis, <<et Camille Amouro?>>, lançai-je ! Étonnement général ! « Camille Amouro? » « Où le trouver ? « Trouvera-t-il notre souffle authentique au point d’accepter d’y coller le sien si pur? ». Chacun exprimait ses doutes. Cependant, une chose était visible : mes amis venaient de valider, sans le dire, le choix de Camille Amouro et chacun examinait déjà la plausibilité de faire de ce beau rêve une réalité.
En effet, Camille Amouro avait <<disparu de la circulation>>, loin de tout et de tous. Il s’était complètement retiré de la vie culturelle, lui qui a été chef d’orchestre de ce milieu culturel et qui très tôt a connu la reconnaissance surtout à l’international. Nous n’étions pas du tout proches de lui. Certains parmi nous l’ont juste lu et l’adorent, Rodrigue et Ismaël notamment. Djamile, lui, a eu la chance de l’avoir rencontré quelques fois. Pour ma part, je n’avais pas lu du Camille Amouro. Mon Mentor Florent Hessou m’a laissé entendre un jour dans son bureau, au cours de l’une de nos discussions improvisées sur la littérature et l’écriture : <<Camille, c’est le maître…>>. Il avait pris soin d’ajouter d’autres superlatifs pour me montrer à quel point lui, Florent Eustache HESSOU, le même, vouait un grand respect à Camille Adébah Amouro et ses œuvres.
Ma première (vraie) rencontre avec Camille Amouro a eu lieu plutôt dans un livre, l’anthologie de poésie « Si Dieu était une femme… », des textes réunis et présentés par le Professeur Mahougnon Kakpo. Dans ce livre, le Professeur-Ministre restituait, en ses propos liminaires, le grand rôle joué par Camille Amouro pour favoriser l’expression artistique à l’époque du cercle Prométhée. Somme toute, un bel hommage rendu par Mahougnon Kakpo à son ami, de son vivant.
Sous la plume donc de Kakpo Mahougnon, Camille Amouro s’est révélé à moi comme la figure de proue de la création artistique au Bénin en ces années. L’homme me fascinait déjà à la simple lecture de tout ce qu’en dit Kakpo Mahougnon. J’aimais déjà l’homme anticonformiste, rebel. Je respectais déjà la profusion scripturale du créateur, lui qui écrivait la plupart des textes joués par les comédiens du cercle Prométhée…
Il fallait donc réussir à obtenir à tout prix cette préface. Dans la même semaine du choix de Camille comme préfacier, nous réussissons à avoir son numéro de téléphone et le joindre. Déjà au téléphone, je découvre un homme sympathique, sans protocole qui supportait mal les fioritures telles que « cher Doyen », « Monsieur… » et autres apparats pompeux du même acabit dont raffolent les tonneaux vides.
- <<…Nous sommes de jeunes poètes et nous souhaitons vous rencontrer…>>
- <<… je serai à l’EITB le mardi prochain, nous pouvons nous y voir …>>
Ce fut, après les salutations d’usage, la substance de notre laconique conversation téléphonique avec l’homme de Goli. Rendez-vous a été donc pris à l’EITB à Tôgbin.
Ce jour-là, mon ami Rodrigue et moi revenions de Porto-Novo, de la Bibliothèque nationale, où nous étions pour retirer le numéro ISBN d’un livre. Notre rendez-vous avec Camille était programmé pour 16h. Nous ne voulions pour rien au monde accuser de retard. En moins d’une heure, nous avons avalé avec ma vieille moto North, Rodrigue derrière moi, la cinquantaine de kilomètres entre Porto-Novo et Cotonou. A l’EITB, Camille était au milieu de jeunes comédiens, visiblement ses étudiants, avec qui ils devisaient. J’ai reconnu certains copains de l’ensemble artistique des étudiants (EACE). Camille proposa que nous nous retirons de l’enceinte de l’EITB pour discuter calmement. <<Mes grands, nous voulons quand même parler de choses sérieuses…>>, avait-il rigolé devant les étudiants de l’EITB qui n’ont pas hésité à lui répondre sur le même ton d’humour : <<Allez parler de choses sérieuses, grandes gens…>>. Je décode en même temps le fair-play de l’homme.
Nous prenons donc la direction de la plage. Assis à même le sable, notre hôte alluma sa cigarette d’un geste élégant un peu comme pour donner le feu vert à nos échanges. Nous lui présentons sans détour notre projet d’obtenir sa préface pour un recueil de poèmes. Il s’est senti embarrassé et, d’un air un peu évasif, a demandé à lire d’abord les textes avant de nous dire s’il pourrait favorablement répondre à notre sollicitation. Nous avions une copie du recueil que nous lui avions tendu. Il feuilleta le document, s’arrêtant de temps en temps sur des pages et le remit dans sa sacoche avec un beau sourire. Ensuite s’engagea une discussion sur l’art, la littérature et la poésie. Cette discussion aura duré plus de deux heures sur la plage de Tôgbin. Purs moments de partage, de (re)flexion et de réflexion sur les choses, les êtres, la vie, le temps, la mer, le vide, l’absurde…,le tout sur la musique des vagues de la mer et l’encens des cigarettes. Pur délice !
Pour une première rencontre, c’en était une. Nous avons beaucoup appris. Nous avons beaucoup appris de l’homme, sur l’homme. Une mine de connaissances et une humilité sans pareille. Une complicité était née ce jour même entre nous, jeunes poètes à la recherche de préface, et le grand Camille, comme si nous étions de vieux vrais amis. Je compris, comme l’a dit le slameur, que tous les poètes viennent de la même famille des mots et ne tardent pas à se reconnaître.
Nous nous sommes sentis vraiment honorés et privilégiés de passer deux heures avec le maître de nos maîtres.
Le lendemain matin du jour de notre première rencontre, je reçus l’appel de Camille Amouro. Il venait, dit-il, de parcourir sommairement notre recueil, accepte de nous proposer une préface et nous remercie de l’honneur que nous lui faisons en lui demandant de prêter sa plume à notre projet.
C’est ainsi qu’à la recherche de la préface d’un grand écrivain, nous avons gagné un ami, un grand ami. Nous avons multiplié les rencontres. Parfois seul, souvent avec Rodrigue. Avec l’ami Camille, c’est toujours des anecdotes. Des histoires à vous faire rire et réfléchir en même temps. L’histoire de la dame aux grosses fesses de Vodjè, qu’il a promis nous faire rencontrer. Camille avait plein de projets, que dis-je, des rêves. Des folies. La création d’une République, par exemple. Chacune de nos rencontres était un grand moment d’élévation de l’esprit. A la plage, à la place des Martyrs, au Stade de l’amitié, à Vodjè, à Tôgbin, à Agla, dans la rue, debout sous des arbres, assis sur les chaises d’une buvette… Nous parlions et discutions de théâtre, d’écriture, de poésie et des poètes, d’Édouard Maunick, de Rimbaud surtout que Camille a beaucoup lu et dont il nous déroulait les textes magistralement. Rimbaud particulièrement le fascinait. Il trouve qu’il a tout dit quand il pense que la poésie « est un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens ». Nous parlions également et discutions de nos projets d’écriture à nous, de ses œuvres à lui; de « Goli », cette œuvre inscrite au programme d’enseignement en France dans les années 90-91; de « Les pets de Pierre Cassanova le même »; de « Les rescapés de l’anti-univers »…
A chaque fois, c’était un grand honneur et bonheur pour nous d’échanger avec Camille. Il était un esprit…Camille Amouro. Il en avait dans la tête, énormément, pas seulement, dans le cœur aussi. Humilité, la vraie!
Plusieurs fois j’ai essayé de convaincre Camille à venir sur Culture Matin pour un grand moment de télé. Il n’en voulait pas. J’ai compris qu’il ne voulait plus de la lumière des hommes. Il avait, me semble-t-il, reçu la Lumière.
A la sortie de « Odalisques », notre anthologie de poésie, nous avons revu Camille pour lui remettre son exemplaire. Il était, disait-il, séduit du travail éditorial.
Puis, Camille est parti s’établir dans le Nord. Nos échanges ont changé de cadre pour migrer du réel au virtuel. Nous avons quelques fois communiqué sur Facebook. Quelques fois par appels téléphoniques. Et désormais, ce serait par le silence. Oui, le silence. Puisque Camille a rejoint le long silence. Pour toujours. Son sourire, sa générosité, son humilité avec.
Je ne pleurerai pas la mort de Camille. Non. Il ne sera pas « d’accord ». Il aimait la mort (prolongation de la vie?) et aurait voulu partir plus tôt, comme Jésus. Non. Je ne pleurerai pas la mort de Camille parce que, écrivait Martin Gray, <<Être fidèle à ceux qui sont morts ce n’est pas s’enfermer dans la douleur. Il faut continuer de creuser son sillon, droit et profond. Comme ils l’auraient fait eux-mêmes. Comme on l’aurait fait avec eux, pour eux. Être fidèle à ceux qui sont morts, c’est vivre comme ils auraient vécu.>>
Bonne route à toi l’ami Camille, le GRAND!
Je suis honoré de t’avoir connu et côtoyé !
Poésie. Poésie. Poésie.
Ave Camille ! »
Valère Z. VIGNIGBE, Adjagbo, ce jour d’enterrement de Camille Adébah Amouro.