Quand ce 31 décembre 2020 il a enfin plu au gouvernement de réagir dans un sursaut ultime en faveur des indigents emprisonnés dans nos centres de santé, Patrice Talon laissait transparaître la capacité pour un État d’avoir de la sensibilité. Cette impression d’un État fort mais sensible, un État fort mais protecteur des faibles, la rupture n’en n’a pas eu l’habitude les 5 ans de sa gouvernance durant, au contraire.
Paparapanga, village d’une dizaine de milliers d’habitants. La localité est située à une dizaine de kilomètres de la ville de Djougou. Le village fait partie des plus grands de l’arrondissement de Sérou. Les chiffres avancés sur les efforts en fourniture d’eau, les habitants de la bourgade ne les vivent qu’à la radio et à la télé. Sur le terrain, des puits dont plusieurs portent les marques et écritures arabes permettent aux populations de s’approvisionner en eau.
Les forages dont il s’agit sont des œuvres d’ONG et fondations asiatiques. Ce sont des puits à petits diamètres flanqués de drapeaux saoudiens, koweitiens, pakistanais entre autres. « Notre village n’est pas si musulman. Mais sans ces généreux Arabes, on serait sans goûte d’eau », lance Emile. Il va me conduire ensuite à deux vieilles adductions d’eau à motricité humaine. Elles datent de plusieurs années avant la rupture. Seule l’une des deux est toujours opérationnelle. Le ciment de la plus vieille sert de séchoir de soja. Emile, un enseignant qui était revenu en famille juste pour les congés de Noël est péremptoire : « le régime Talon n’œuvre que pour le confort des nantis, des grandes villes, des employeurs ».
L’impression d’Emile, plusieurs jeunes des zones rurales la partagent. Pour la justifier, certains mettent sur la balance les réformes peu heureuses intervenues dans l’enseignement surtout le volet de l’aspiranat. Dans les zones reculées en effet l’enseignement restait le seul métier à accès plus facile mais surtout avec un revenu considérable pour celui qui acceptait de se tuer à la tâche. Avec les réformes, tout tourne au tour de 100 mille FCFA, quels que soient les efforts. Les jeunes instruits des régions rurales n’ont plus de choix que celui de se tourner vers l’agriculture.
La production agricole connaît une nette amélioration. Pourtant, les producteurs peinent à tirer leur épingle du jeu. Même les producteurs de coton ne s’affranchissent pas encore de la pauvreté. Entre les structures financières décentralisées et les démembrements de l’AIC (Association interprofessionnelle de coton), chargée des intrants, les producteurs sont englués dans les dettes qu’à peine ils réussissent à éponger. Quand beaucoup se tournent vers des produits concurrents comme le cajou, le soja, le karité, l’État est encore là pour freiner leurs élans. De quoi faire grandir encore l’impression d’un régime qui pense peu aux petites gens.
« Avant le lancement de la campagne 2020-2021, le soja était à 500 FCFA la mesure sur le marché dans la Donga. C’est l’un des départements où le soja est cultivé. Mais au lancement de la campagne le gouvernement a fixé le prix du kilo à 175 FCFA, imaginez la suite », raconte Salim. Il va ensuite enchaîner avec une longue démonstration qui aboutit à la même conclusion : « Talon arrange les riches ».
Dans les faits, les zones agricoles bien que divisées en régions avec des structures spécifiques selon les filières adaptées ne se retrouvent pas encore dans la politique agricole de la rupture. Et beaucoup d’acteurs comprennent peu les mécanismes de fixation des prix des produits au cours des campagnes. « Le karité à 100 FCFA le kilo entre nous c’est humain ? », interroge Zouhéra. « C’est un produit prisé » explique cette agricultrice. « Pour qui connaît le marché de la noix de karité et qui sait combien c’est harassant de travailler ces noix, de la récolte à l’ensachage, c’est cruel de fixer ce produit à 100 FCFA le kilo » conclut-elle.
Des prix fixés à grand renfort médiatique. Prix qui laissent les producteurs bouche bée mais qui font le bonheur des commerçants. « Petits prix terrains, gros bénéfices à l’exportation » renchérit Kawil. Il était un acteur respecté de l’anacarde. Aujourd’hui, après la prison il peine à se relancer. « Tout allait bien cette année-là. Le marché a ouvert au vert. J’ai acquis des produits très vite à 500 FCFA et même 600 FCFA. À ma grande surprise au lancement de la campagne, le gouvernement fixe le prix à 350 FCFA. Beaucoup comme moi sont toujours en prison ».
Des histoires, des témoignages et des hommes et femmes qui s’interrogent sur leur place dans l’action gouvernementale. Un État qui se restaure en oubliant de restaurer les chances et les rêves des faibles. À tout ceci il faut ajouter le code du travail que Patrice Talon a célébré en Allemagne face aux investisseurs. Un code du travail qui a vidé les employeurs de leurs petites défenses et des garde-fous qui permettaient à l’État d’être leur garant. Dans le Bénin qui rend fier Talon, les petites gens se sentent oubliées.