C’est peut-être l’une des voix qui manquait pour révolutionner les mécanismes de lutte contre les épidémies dans le monde. Dans une déclaration, la Directrice exécutive de l’Onusida semble avoir vidé son cœur. Pour Winnie Byanyima, le combat est beaucoup plus socio-anthropologique que doctrinal. Selon la Directrice exécutive de l’Onusida, les épidémies se nourrissent « des inégalités extrêmes entre et au sein des pays et s’enracinent dans les les communautés défavorisées et vulnérables ».
Par ailleurs, l’ougandaise Winnie Byanyima se désole de la non atteinte des objectifs dans la lutte contre le VIH afin d’endiguer ce mal dans les monde, et pour cause, l’inégalité sur le plan social.
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Maintenant ou jamais : lutter contre les inégalités enracinées et mettre fin aux épidémies
Tout comme l’épidémie de VIH avant elle, la COVID-19 se nourrit des inégalités extrêmes entre et au sein des pays et s’enracine dans les communautés défavorisées et vulnérables. Je suis fière que les décennies d’expérience tirée de la riposte au VIH trouvent leur application dans la lutte contre le coronavirus et que tous les militant-es du monde entier travaillent d’arrache-pied pour limiter autant que possible les perturbations des services liés au VIH.
Mais certaines choses me préoccupent grandement.
Même avant l’arrivée de la COVID-19, l’humanité n’était pas en mesure de respecter sa promesse de mettre un terme à l’épidémie de VIH d’ici 2030. Le nouveau rapport mondial de l’ONUSIDA, Saisir l’opportunité : lutter contre les inégalités bien enracinées pour mettre fin aux épidémies, révèle que 690 000 personnes sont mortes de maladies opportunistes et que 1,7 million de personnes ont été infectées en 2019. Cela est à des années-lumière des objectifs mondiaux pour 2020 fixés à moins de 500 000 décès et 500 000 nouvelles contaminations par an.
Nous payons au prix fort l’échec collectif à mettre en œuvre une riposte au VIH, qui soit exhaustive et repose sur les droits, ainsi qu’à la financer : 3,5 millions d’infections au VIH et 820 000 décès supplémentaires liés au sida ont été recensés entre 2015 et 2020, par rapport aux objectifs mondiaux.
Cela est inacceptable alors que nous disposons de médicaments permettant aux personnes séropositives de vivre en bonne santé, mais aussi d’outils de prévention pour empêcher les nouvelles infections. Notre action est freinée par des inégalités bien enracinées qui exposent davantage les groupes de personnes vulnérables et marginalisées à un risque de contamination au VIH et de mortalité liée à des maladies opportunistes.
Il existe bien entendu des lueurs d’espoir. Le nombre de personnes sous traitement en Afrique du Sud a explosé au cours des dix dernières années, passant de 1,4 million en 2010 à 5,2 millions en 2019. Des pays comme l’Eswatini et le Lesotho montrent qu’il est possible de faire reculer le nombre de nouvelles infections en proposant des options de prévention combinée.
Toutefois, l’épidémie gagne du terrain dans beaucoup trop de pays. Depuis 2010, les infections ont ainsi augmenté de 72 % en Europe de l’Est et en Asie centrale, de 22 % au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, et de 21 % en Amérique latine.
Comme toujours, ce sont les plus vulnérables qui payent le plus lourd tribut. Chaque jour, des groupes marginalisés comme les hommes gays, les professionnel-les du sexe, la population transgenre, les toxicomanes, les personnes incarcérées et migrantes font face à la criminalisation, à la marginalisation et à des difficultés pour recevoir des soins de santé corrects. Privés de leur droit à la santé, ces groupes et leurs partenaires de sexualité représentaient 62 % de toutes les nouvelles infections chez les adultes en 2019.
De leur côté, les femmes et les filles sont trop souvent privées de leur droit à la santé sexuelle et de la reproduction, alors que les violences basées sur le genre et les inégalités entre les sexes continuent de faciliter la propagation de l’épidémie parmi les jeunes femmes et les filles. En 2019, les adolescentes et les jeunes femmes représentaient 1 nouvelle infection au VIH sur 4 en Afrique subsaharienne, alors qu’elles ne forment que 10 % environ de la population totale.
Au cours des 12 derniers mois, on estime que 243 millions de femmes et de filles âgées entre 15 et 49 ans ont été victimes de violences sexuelles et/ou physiques de la part d’un partenaire intime, dans le monde. Par ailleurs, nous savons que les femmes victimes de ce type d’exactions sont 1,5 fois plus susceptibles de contracter le VIH que les autres femmes n’ayant pas vécu de telles violences. Parmi les groupes marginalisés, les études discernent une corrélation entre prévalence élevée de violence et taux supérieurs d’infection au VIH. Le risque d’infection au VIH des professionnelles du sexe est 30 fois plus élevé que dans la population générale.
Tout cela doit changer et nous devons agir sur plusieurs fronts. Une approche multisectorielle respectant les droits et la dignité des femmes et de tous les groupes marginalisés est nécessaire de toute urgence pour réduire les infections au VIH et garantir le droit à la santé et à d’autres services essentiels de ces populations.
Par exemple, les adolescentes et les jeunes femmes qui obtiennent une scolarisation du secondaire de qualité et qui la terminent voient leur vulnérabilité au VIH divisée par deux. Cela s’accompagne aussi de nombreux autres avantages économiques et sociaux assurant la promotion de la santé, de l’égalité des sexes, de l’émancipation économique et de la lutte contre la violence basée sur le genre.
Au Bénin, le « Cash Transfert » aux jeunes filles vulnérables (déscolarisée ou ayant arrêté l’apprentissage d’un métier du fait d’une grossesse) pour la mise en œuvre d’activités génératrices de revenus, a boosté leur confiance et leur estime de soi, ce qui leur a donné envie de poursuivre leur scolarité ou leur apprentissage et a réduit considérablement leur vulnérabilité économique.
À l’instar du VIH, la COVID-19 lève le voile sur les inégalités et les injustices profondes qui traversent nos sociétés. La nouvelle pandémie s’aggravera si nous ne nous penchons pas sur l’impact qu’ont les droits humains des personnes vulnérables et leur manque d’accès aux services de santé, à l’éducation, à la protection de la violence, ainsi qu’à l’aide sociale, économique et psychosociale.
Nous avons par ailleurs besoin d’un engagement international garantissant que les diagnostics, les médicaments et un éventuel vaccin contre le coronavirus seront mis à disposition gratuitement sur le lieu d’utilisation, et ce pour tout le monde, partout sur la planète. Lorsqu’un vaccin sera disponible, cela devra être un vaccin pour toutes et tous.
Les ripostes efficaces contre les pandémies sont celles qui reposent sur les droits humains et qui mettent en place des programmes basés sur des données probantes. Elles devraient obtenir tout le financement nécessaire pour atteindre leurs objectifs.
Malheureusement, le manque de financement pour la riposte au VIH se creuse. L’augmentation des ressources destinées à la riposte au VIH dans les pays à revenu faible et intermédiaire a d’abord fait une pause en 2017 avant de voir les investissements reculer de 7 % entre 2017 et 2019, après correction de l’inflation. En 2019, le total des investissements consacrés à la riposte au VIH dans ces pays s’élevait à environ 70 % de l’objectif 2020 fixé par l’Assemblée générale des Nations Unies.
Cela fait plusieurs années que le VIH disparaît doucement, mais surement des priorités de l’agenda international. Aujourd’hui, j’appelle les leaders à se rassembler l’année prochaine lors d’une nouvelle Réunion de haut niveau des Nations Unies sur la fin du sida afin de lutter de toute urgence contre les problèmes en suspens qui nous empêchent de mettre fin au sida en tant que menace de santé publique d’ici 2030.
Nous devons être à la hauteur sur le dossier du VIH. L’avenir de millions de personnes est en jeu.
Le rapport mondial 2020 de l’ONUSIDA est un appel à l’action. Il met en avant l’ampleur effroyable de l’épidémie de VIH et la manière dont elle suit les failles de nos sociétés.
Nous avons la capacité et le devoir de combler les écarts.
Winnie Byanyima
Directrice exécutive, ONUSIDA