Aujourd’hui, c’est le 03 mai. Le Bénin, à l’instar des autres pays du monde, ne reste jamais en marge de la Journée mondiale de la liberté de la presse. Cette édition qui se déroule dans un contexte particulier avec la menace sanitaire due au Covid 19 a pour thème : « Le journalisme sans crainte ni complaisance ». C’est clair qu’il n’aura pas des rituels d’ornements du cadavre en lieu et place d’une réflexion profonde sur les contre-performances du Bénin relevées dans le dernier classement de Reporters Sans Frontières (RSF).
Il est grand temps de s’interroger sur l’état dudit 4ème pouvoir, quatre ans après l’avènement du gouvernement de la Rupture. Et pour cause, la conscience professionnelle des médias, toute catégorie confondue, chantée sur tous les toits devient de vaines incantations. Et en installant la 6ème mandature de la Haac, le président Patrice Talon n’a pas manqué d’exprimer son inquiétude.
« Je voudrais vous rendre attentifs au sort de nos médias, et en appeler à votre sollicitude (…) pour engager les uns et les autres dans les voies qui permettront de sortir le métier de l’amateurisme et de la vénalité ».
Patrice Talon
Langage de vérité ou mépris à l’endroit d’une corporation ? En tout cas, cette adresse du président Patrice Talon à l’endroit des animateurs du quatrième pouvoir au Bénin apparaît comme une satire. ‘’ Amateurisme ‘’ et ‘’ vénalité ‘’, n’est-ce pas là, la description parfaite de la presse béninoise faite par le premier Magistrat de la nation ? En tout cas, la vérité blesse. C’est un constat général aujourd’hui que la presse béninoise peine à se réconcilier avec les vertus cardinales et les valeurs rédemptrices qui doivent fonder sa légitimité. Là-dessus, on ne peut pas faire un procès au chef de l’Etat qui a procédé à une vraie caricature de la presse béninoise. La célébration de la journée mondiale de la liberté de la presse qui intervient au lendemain du déclassement du Bénin par RSF devrait inciter à la méditation. Toute réflexion faite, deux principaux maux sont en voie de ternir l’image de marque reconnue au quatrième pouvoir de manière constitutionnelle. Il s’agit du déni de responsabilité et du déni de professionnalisme. Dénis qui se nourrissent du déficit de considération dont souffre la presse nationale. Le désordre politique d’avant les années 90, accoucheur de la démocratie a sapé à la presse, son originalité en tant que pouvoir impartial.
Le vrai visage de la presse béninoise
Ainsi, la marque de fabrique certifiée de la presse béninoise est celle d’une information partiale, partielle et partisane : le virus I3P. Or, lorsqu’en journalisme, l’on se refuse, consciemment ou inconsciemment, à s’imposer une distanciation critique par rapport aux faits que l’on rapporte ou alors, lorsqu’on se fourvoie, de façon éhontée et systématique dans l’information orientée, c’est-à-dire dans la production de faits préconçus, prédéfinis, pré-calibrés et même préfabriqués, on devient un facteur multiplicateur de tensions sociales et politiques. Le « chaos démocratique » devient un fait constatable, quand cela résulte d’un excès de liberté. Pour utiliser l’expression centrifuge : une presse non affranchie et dont les principaux acteurs vivent, respirent, s’habillent, dorment et meurent dans les poches corrompues des entreprises politiques, parfois en mal d’inspiration. Pour se faire plus clair, une presse qui ne peut être la marque distinctive d’une démocratie. Il est grand temps de sortir la presse béninoise du lieu de mépris souverain dans lequel elle est tenue par des politicards. Constat : les journalistes béninois n’ont pas encore tourné le dos à la mendicité vécue comme une prophétie céleste, à la clochardisation royale, à l’agenouillement comme art de vie. Véritables boîtes à résonnance, les entreprises de presse servent de relais aux pires niaiseries politiques vécues de l’intérieur. On le voit donc : la presse béninoise, dans ses triomphes et ses laideurs, n’est que le produit logique des pratiques délictueuses et permissives dont les politiciens peuvent réclamer la paternité. Juste parce que les praticiens de ce noble métier ont tôt fait de courrir chercher un confort utopique en allant se réchauffer au feu de bois de l’ennemi. A toutes fins utiles, c’est le linceul blanc qu’on voit habiller le cadavre. C’est la brindille luxuriante qu’on voit mettre le feu à une forêt qu’on croit toujours vierge mais déjà saccagée et livrée à la sécheresse. Telle est l’image de la presse béninoise de nos jours.
Définir de nouveaux paradigmes
Nous sommes d’accord qu’il faille aller à la rupture. La vraie démocratie est celle qui s’abreuve aux sources vivifiantes d’une presse libre, plurielle et pluraliste. Une presse domptée, domestiquée sinon infantilisée constitue un danger réel pour la démocratie. Les journalistes confrontés à la déliquescence morale, matérielle et intellectuelle parce que mal rémunérés constituent une menace réelle pour la République. Il faut agir pour l’avenir : l’autonomisation du champ journalistique par rapport à la sphère politique est un combat que nous devons et pouvons gagner. Il est impératif de réconcilier la presse béninoise avec nos peuples et de pacifier ses relations avec les gouvernants dans le strict respect des pratiques professionnelles conformes à l’état de droit et à la déontologie professionnelle. Pour aider la presse à faire ce saut qualitatif, nous devons nous inventer des dispositifs institutionnels, législatifs, économiques et financiers adaptés à notre environnement et dictés par l’exigence d’une modernité politique. C’est là, il convient d’interroger l’aide de l’Etat à la presse. Il y a urgence de revoir la cagnotte à la hausse comme c’est le cas pour les acteurs culturels, revoir aussi les organes de presse qui doivent être éligibles, penser même à la fusion des organes comme c’est le cas en politique. Ceci est un plaidoyer.
En effet, il se fait l’amer constat que le lectorat béninois est fatigué de découvrir les mêmes titres à la une, souvent mal inspirés, parce que ne relevant pas du domaine de la légitimité intellectuelle. La source de motivation ne faisant pas partie du domaine de la rationalité professionnelle. Des titres, disais-je, ronflants, uni-conceptuels, remontant à l’époque gaulliste et difficilement consommables. Ils doivent leur salut aux revues de presse.
Nous sommes tous d’accord que le mal que nous dénonçons est réel et que les gens nous ont précédés dans ce combat sans que rien ne change. Mais pas dans le même registre ni dans la même proportion intellectuelle. Les deux états généraux de la presse organisés n’ont pas eu le mérite de conjurer le mauvais sort. Au contraire, ils amplifient les perversités, façonnent des responsables de presse d’une dangerosité humaine à nulle autre pareille. C’est à juste titre que certaines têtes pensantes comparent la presse nationale à une jungle. Les règles de l’éthique et de la déontologie professionnelle sont devenues de vaines louanges, parce qu’on doit les prononcer. La convention collective, une expression vaine. Disons un texte caduc qui souffre d’un problème d’application. A qui doit-on faire le procès ? L’autre dira que : « les Mozart et les Einstein sont tués dans l’œuf ». Nous sommes les mots de la même famille, issus d’un même ancêtre génétique. Des chats siamois qui refusent la reconversion. Avec une assurance délivrée par les instances de décisions de la presse, nous exerçons le métier dans ses paramètres les plus lugubres. Oui à la co-fraternité, non pour le journalisme de suivi et de la dépendance. Il y a donc urgence de nous affranchir de la tutelle politique. De là, viendra peut-être le salut.
La normo-communication complice de la déliquescence de la presse
Son avènement coïncide avec la suppression des contrats de presse par le régime en place. Et depuis, aucun lobbying de la part de ceux qui se disent barons de la profession, en vue d’une normalisation. Quatre années de pénitence pour les animateurs des médias qui ignorent tout de la fin de cette misère décrétée sur toute une corporation. Au lendemain de l’élection présidentielle qui installe le gouvernement de la rupture, une expression a fait grand bruit au sein des professionnels des médias. Il s’agit de la normo-communication, utilisée pour la première fois par le chargé de mission et responsable média du chef de l’État, ancien journaliste, patron de presse, ancien Vice Président de la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication (Haac), Edouard Loko. A l’époque, on n’y comprenait rien, tant la formulation en elle-même est floue et superflue. Depuis lors, certains contrats qui lient les structures de communication aux pouvoirs publics ont été suspendus sans autres formes de procès. Malheureusement, la seule chose qui maintenait plusieurs de ces structures communicationnelles. Nombres d’organes de presse ont dû mettre la clé sous le paillasson par contraintes financières puisque le modèle économique de ces entreprises de presse se résumait aux contrats et abonnements. Le personnel est ainsi livré à son sort. Personne n’en parle. Comme une épée de Damoclès qui tournent sur leur tête, les journalistes prennent leur croix pour un voyage sans lendemain. Ils ont peut-être commis le péché de tenir l’opinion publique, que d’aller exercer une autre profession. Mais le vrai péché, c’est de n’avoir pas fait une refonte du métier où de n’avoir pas préparé ce cas de figure.
La dépénalisation de la presse en question
La pratique journalistique au Bénin repose sur des textes précis dont certains ont fait l’objet d’une réactualisation. La recherche sur les pratiques journalistiques est à l’image de son objet : riche, foisonnante, protéiforme, tiraillée entre l’immédiateté de l’analyse du présent et la mise en perspective sur le long terme, en prise avec des formes d’engouement et de résistances critiques. La loi n°97-010 du 20 août 1997 portant libéralisation de l’espace audio-visuel et dispositions pénales spéciales relatives aux délits en matière de presse et de communication audiovisuelle en République du Bénin ; la loi n°60-12 du 30 juin 1960 sur la liberté de la presse, suivie de l’ordonnance n°69-22 du 4 juillet 1969 ; la loi n°61-10 du 20 février 1961, modifiant la loi n°60-12 du 30 juin 1960 sur la liberté de la presse ; l’ordonnance n°69-12 du 23 mai 1969, complétant et modifiant l’article 8 de la loi n°60-12 du 30 juin 1960 sur la liberté de la presse sont autant d’arsenal juridique qui encadre la pratique journalistique au Bénin. A tout ceci, il faut ajouter le nouveau code de l’information et de la communication et de l’information qui définit aussi le cadre d’exercice du journalisme en République du Bénin, notamment dans sa section II relative aux obligations du journaliste et des organes de presse.
Au plan international, l’article 19 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme stipule que : «Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de rechercher, de recevoir et de répandre sans considération de frontière, les informations et les idées, par quelque moyen d’expression que ce soit ». L’article 9 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples du 28 juin 1981 énonce : «Toute personne a droit à l’information ». Les pays d’Afrique qui ont connu ce renouveau démocratique ont inséré ces dispositions dans les nouvelles constitutions qu’ils se sont données.
Et pourtant !
Le musellement de l’expression démocratique sous les gouvernements successifs jusqu’à celui de la rupture est un fait réel. La presse n’est plus vue comme le dernier rempart de la consolidation des acquis démocratiques, mais plutôt comme le premier appât pour leur destruction. Après les leaders d’opinion du pays devenus aphones, le régime en place a aussi pour sa part, réussi à avoir la mainmise sur les animateurs du quatrième pouvoir. Une proie facile qu’il a dévorée d’un seul trait au plaisir de son appétit vorace. La presse béninoise, riche de son histoire et qui a montré qu’elle était capable de mener le combat pour la justice, la liberté et la vérité est aujourd’hui soumise. De l’ère coloniale au renouveau démocratique en passant par la période révolutionnaire, elle l’a fait des fois dans des conditions extrêmement difficiles où le journaliste doit à tout instant craindre pour sa liberté et même pour sa vie.
De nombreux professionnels des médias ont risqué leur vie, ont été victimes d’exactions pour qu’aujourd’hui, les conditions d’exercice du métier soient meilleures en raison de l’Etat de droit qui prévaut depuis plus d’une trentaine d’années. « L’Etat de droit ne peut servir la presse qu’autant que la presse se met rigoureusement au service de l’Etat de droit», avait fait remarquer Sylvain Anignikin. «Il n’y a pas de démocratie sans liberté de la presse comme il n’y a pas de liberté de la presse sans responsabilités des journalistes», nous fait comprendre l’historien burkinabé Joseph Ki-Zerbo. Dans le contexte actuel, ces pensées pour décrire le paysage médiatique ont perdu leur sens. Force est de constater que les professionnels sont parfois intimidés dans l’exercice de leur métier. Pour leur opinion, des journalistes se retrouvent devant la justice et même jetés en prison. Les cas les plus récents concernent Casimir Kpédjo, directeur de publication de l’hebdomadaire Nouvelle Economie et Ignace Sossou du journal en ligne Bénin Web TV, tous deux traînés sous la bannière de la loi sur le numérique. Ce gros piège qui remet une couche sur le domaine du pénal duquel relève des opinions de tous, même de journalistes. S’il y a un bilan à faire à ce niveau sous le gouvernement de la Rupture, la situation est assez critique. La dépénalisation de la presse n’a jamais été une vraie préoccupation pour les gouvernements successifs.Pour l’édition de la journée mondiale de la liberté de la presse de cette année, le ministre beninois de la communication s’est s’exprimé comme c’est de coutume. Dans son adresse, le porte parole a reconnu que
Le journalisme est un métier noble, mais ne mérite pas le visage qu’il a aujourd’hui.
Plus loin, le ministre Alain Orounla est
fier que dans son pays, il n’y ait pas de journalistes tués ou assassinés. »
Mais il a oublié qu’il y a pire ou semblable qui ronge la presse de son pays surtout quand il déclare <<la liberté d’expression n’a jamais souffert d’atteintes>>. Les brimades, les persécutions, les interpellations, les brouillages de signal des chaînes de radio, le non renouvellement des autorisations d’émettre, le renvoi silencieux des journalistes au chômage, les tortures morales, etc. sont l’anti chambre des assassinats, des emprisonnements arbitraires, bref des atteintes à la liberté d’expression.
La Presse sous la rupture, quatre ans après se résume au mécontentement, au silence forcé la mort dans l’âme et, du classement reporter sans frontières, le Bénin se moque. Si toutes les parties prenantes n’entendaient pas raison, la fin de la dégringolade ne sera pas pour demain et le Bénin ne restera qu’à sa place.